Qu’est-ce qu’un « Cheikh » ?
Interview avec Dr. Yahia Ghoul
1- Comment Dr. Yahia Ghoul définit un « Cheikh » ?
La méthode orale de transmission, en combinaison avec des dons innés et motivation compulsive personnelle, était la seule forme académique pour la formation d’un Cheikh. Ce processus d’apprentissage long et laborieux est basé sur l’importance capitale de la relation maître-à-élève. La résultante est ce musicus perfectus (musicien parfait), qui est essentiellement un homme avec des aptitudes musicales remarquables: un compositeur doué de créativité, un instrumentiste virtuose, un chanteur talentueux avec une mémoire phénoménale, capable également de faire de la poésie avec aisance, et surtout un érudit de grande culture.
Parmi un grand nombre de musiciens actuels, le concept de “Maître” ou “Cheikh” de ce patrimoine, a été réduit à des dimensions beaucoup plus simplistes, où le critère le plus important demeure celui de la mémorisation, allant jusqu’à négliger tous les autres aspects qualitatifs que nous venons d’énoncer. A présent, un “Cheikh” est défini comme une personne n’ayant plus besoin de se référer à ses livres ou documents durant ses performances, car ayant tout mémorisé. Basé uniquement sur la mémorisation sans même tenir compte de l’instrumentation et des autres critères importants, ce concept est non seulement dépassé, mais ridicule de notre temps. Mémoriser est certainement une chose merveilleuse peut-être, mais c’est une science éphémère et vulnérable au cours de notre cycle biologique, condamnant notre cerveau à rétrécir et à se ratatiner pour subir ce phénomène physiologique de l’oubli qui fait partie intégrale de notre nature humaine.
Bien que parfois synonyme de l’expérience, l’âge chronologique n’a absolument rien à voir avec le degré d’expertise ou de connaissance. Les facultés d’apprentissage et d’assimilation varient de personne en personne. Connaissance et expertise n’ont jamais été des choses directement héréditaires, car bien de gens intelligents ont engendré des enfants inaptes à toute fonction intellectuelle, de même que l’inverse est totalement vrai aussi. Du point de vue scientifique ou culturel, le droit d’aînesse chronologique n’a aucune signification, et ne doit pas être confondu avec le droit de compétence et de la connaissance au sens stricte du mot. Le grand maître Mohammed Benchabane (Boudolfa, 1853-1914), nous donne un exemple documenté frappant de cette attitude. Celui-ci, en signe de reconnaissance à la compétence de son propre élève, le Cheikh Larbi BenSari, lui ordonna de prendre en charge son orchestre en sa présence. (Cette photo en 1904 montrant Cheikh Boudolfa secondant son propre élève Cheikh Larbi). N’est-ce pas là une preuve de bon sens, d’humilité et d’intégrité intellectuelle de ce grand maître ?
Nous n’avons pas encore à notre disposition un système d’évaluation quelconque pour nous permettre de mesurer le niveau de connaissance et de compétence de nos musiciens actuels. Le seul moyen entre nos mains est cette notion subjective et notre confiance aveugle dans les musiciens de nos jours qui sont devenu les seules autorités tranchantes pour cette question. La définition réelle d’un Cheikh n’est plus aussi simple qu’elle ne l’était durant les générations précédentes, car les grands connaisseurs et mélomanes avertis ne s’expriment plus, ou ont disparu, et que nos bonnes manières nous empêchent aussi d’appeler un chat, un chat. Il est temps de clarifier les choses et d’essayer d’arriver à un consensus rationnel, et de mettre en place un système beaucoup plus objectif d’évaluation des connaissances de ce patrimoine musical, pour pouvoir dispenser à nos enfants un enseignement solide par des enseignants qualifiés et à la hauteur de leur tâche.
Etablir un standard logique et rationnel d’évaluation de cette science musicale, nous permettra certainement de mesurer le degré de connaissance d’un musicien quelconque en fonction d’une échelle de mesure beaucoup plus objective, scientifique et palpable. L’absence d’une telle mesure nous exposera au danger de la subjectivité, et l’absence de nos aînés mélomanes crée des conditions favorables pour l’opportunisme de faux prophètes inconscients, ou avec un agenda personnel, qui risquent de tromper un public indulgent non averti, et nous diriger vers une dénaturation de l’intégrité et de l’authenticité de ce patrimoine musical.
Nous n’avons pas encore à notre disposition un système d’évaluation quelconque pour nous permettre de mesurer le niveau de connaissance et de compétence de nos musiciens actuels. Le seul moyen entre nos mains est cette notion subjective et notre confiance aveugle dans les musiciens de nos jours qui sont devenu les seules autorités tranchantes pour cette question. La définition réelle d’un Cheikh n’est plus aussi simple qu’elle ne l’était durant les générations précédentes, car les grands connaisseurs et mélomanes avertis ne s’expriment plus, ou ont disparu, et que nos bonnes manières nous empêchent aussi d’appeler un chat, un chat. Il est temps de clarifier les choses et d’essayer d’arriver à un consensus rationnel, et de mettre en place un système beaucoup plus objectif d’évaluation des connaissances de ce patrimoine musical, pour pouvoir dispenser à nos enfants un enseignement solide par des enseignants qualifiés et à la hauteur de leur tâche.
Etablir un standard logique et rationnel d’évaluation de cette science musicale, nous permettra certainement de mesurer le degré de connaissance d’un musicien quelconque en fonction d’une échelle de mesure beaucoup plus objective, scientifique et palpable. L’absence d’une telle mesure nous exposera au danger de la subjectivité, et l’absence de nos aînés mélomanes crée des conditions favorables pour l’opportunisme de faux prophètes inconscients, ou avec un agenda personnel, qui risquent de tromper un public indulgent non averti, et nous diriger vers une dénaturation de l’intégrité et de l’authenticité de ce patrimoine musical.
2- Etre maître implique que la personne en question joue (maîtrise) un, voire plusieurs instruments. Kheiredine Benaboura et Mahieddine Bachetarzi n’étaient pas des instrumentalistes déclarés, pourtant, ils sont qualifiés de « chouyoukh ». Est-ce l’exception qui confirme la règle ? Ton commentaire à ce sujet ?
Les ayant connus personnellement Kheireddine Benaboura (un bon luthiste) et Mahieddine Bachetarzi n’ont personnellement jamais prétendu au titre de Cheikh, bien qu’ils avaient une formation musicale solide pour mériter ce titre. Tous deux étaient de grands mélomanes d’une modestie exemplaire, et mordus pour la musique andalouse. Maintenant des liens étroits avec les maîtres de cet art, ils ont toujours été à cheval pour encourager et procurer un milieu favorable pour l’apprentissage des jeunes Tous deux m’ont donné cette motivation et encouragement dans mon apprentissage personnel. Malheureusement, à ma connaissance, ils n’ont jamais eu la chance de directement faire profiter des élèves par leurs connaissances musicales potentiellement fructueuses.
3- Selon la règle, le maître doit avoir des disciples afin de transmettre son savoir à travers les générations, et permettre à son art une vie continue. Or, il y en a ceux qui ne dispensent d’enseignement qu’à leur progéniture. Méritent-ils d’être qualifiés de maîtres?
Cette partie répond un peu à ta question précédente. En effet, un maître doit avoir des disciples. Cependant est-il important de tenir compte de leur affiliation génétique ? Je ne pense pas. Le disciple de Ibrahim al-Mawçilî était bien son fils Ishaq al-Mawçilî. Les premiers disciples de Ziryab étaient tout d’abord ses propres enfants.
La plupart des grands musiciens classiques (JS Bach, Mozart, Beehoven,…) avait des parents et parfois des enfants qui étaient des musiciens aussi. La relation Maître-élève est basée en grande partie sur un rapport de confiance, quelque soit la raison derrière une telle attitude. Les musiciens professionnels étaient également jaloux de leur profession, et la concurrence n’est pas toujours aisée à digérer (c’est humain).
4- Généralement, un maître a sa référence : un autre maître avec lequel il a eu un contact et un enseignement directs. Qu’en est-il de ceux qui ont appris la musique dans les conservatoires et dans les plus grandes universités du monde, et qui pratiquent la musique andalouse par passion ? Est-il correct de les surnommer « maîtres »?
Ce point est assez délicat ! Dû à l’absence d’une échelle de valeur et au manque de processus (examen, test, commission,..) d’évaluation des connaissances d’un individu donné. Si l’évaluation se fait à partir du produit final, il est question d’analyser ce produit final et le passer au peigne fin de l’authenticité. Ce n’est pas très évident et pas du tout facile à faire, car qui oserait le faire pour le moment ? C’est un cercle vicieux en quelque sorte, car l’examinateur lui-même nécessite parfois d’être examiné. Celui qu’on essaye d’évaluer a tout le droit de demander la légitimité d’un tel processus. L’absence d’une structure académique en bonne uniforme, objective et impartiale n’est pas encore sur pieds. Devraient t-on se baser uniquement sur l’impression subjective d’une autorité musicale actuelle ? Même un consensus serait faussé car le favoritisme n’étant pas exclu. Par une sorte d’auto-suffisance arrogante, plusieurs musiciens ont l’illusion et prétendent qu’ils font les choses mieux que leurs prédécesseurs (Cheikh Larbi par exemple), mais ils oublient dans leur myopie qu’il existe des disparités facilement évidentes à travers les comparaisons avec les versions authentiques. Ce problème est commun à plusieurs associations, mais il n’est pas très aisé de montrer du doigt chaque anomalie sans utiliser une analyse musicale honnête, impartiale et scientifique.
Il est vrai qu’un véritable Cheikh constitue une sorte de maillon dans la chaîne de transmission de cet art. Comme il est dit : Cheikh bla cheikh law ya`mar jabhu khâlî شيخ بلا شيخ لو يعمر جبحه خالي
D’où la nécessité d’avoir et de dépendre d’un Cheikh de bonne stature de préférence. Quelque soit le statut que certains s’auto-attribuent parfois, avec beaucoup d’indulgence d’ailleurs, il ne faut pas oublier que nous dépendons totalement de nos prédécesseurs, et que si l’on voit un peu plus loin à l’horizon c’est grâce à leurs épaules sur lesquelles nous sommes perchés.
5- Etre maître est-il un facteur inné ? Est-ce que certains ont des prédispositions à devenir « futurs maîtres » dès leur enfance ?
Pas du tout ! Le facteur génétique aiderait peut-être mais il n’est pas une condition sine qua non. Un exemple : mon professeur de Piano au conservatoire d’Oran, Mr. Francis Dumond était un musicien de concert accompli venant d’une famille de musiciens. Celui-ci avait un frère jumeau qui était allergique à toute forme de musique. Il ne pouvait pas concevoir que la combinaison de quelques notes et rythmes pouvaient engendrer une sensation émotionnelle quelconque. C’est un cas rare mais réel, où le facteur génétique n’explique pas toujours les choses.
Le plus important à mon avis c’est cette attraction naturelle et la volonté de vouloir accomplir une tache quelconque. Tout peut s’apprendre mais avec des degrés d’habilité et de motivation personnelle. Il y a des bons, des moins bons et des médiocres dans tous les domaines et dans toute profession, malgré les mêmes diplômes et mêmes enseignements à partir d’une source identique. Dieu a imposé des talentueux et des moins talentueux sans l’avis de quiconque : bighayri hissâb.
6- Enfin, avec plus de moyens et de bonnes volontés, est-il possible que nos associations musicales deviennent des « fabriques à maîtres » ?
Tout a fait possible. Mais mieux si l’élève est à la charge d’un guru qui puisse amplifier les aptitudes naturelles de son disciple, et l’accorder de manière harmonieuse et précise en accordance avec les connaissances solides et surtout honnêtes de son maître. Certains amateurs doués et autodidactes chevronnés sont capables de maîtrise dans ce domaine.