L’avant Benkrizi à Mostaganem…
Si Habib Bentria
Né en 1902 à Mostaganem, cet autodidacte était depuis 1930 un fervent amateur de musique andalouse « Sanâa » de l’école d’Alger pour des raisons d’opportunité. Il adhéra dès son jeune âge au « Cercle du Croissant » dont il devint l’un des principaux animateurs jusqu’en 1946 date à laquelle il dut cesser toute activité pour raison de santé. Aussi, contraint à une immobilité totale, il entreprit de meubler son temps en faisant profiter son entourage des techniques qu’il avait pu acquérir à force volonté dans ce noble art. C’est ainsi qu’il se mit à dispenser gracieusement, dans son propre domicile, des cours à de nombreux disciples au nombre desquels il faut citer Hadj Bouzidi Benslimane, Hadj Mustapha Benhamou dit Sika, les cousins Abdelkader et Belahouel Beladjine dits Boucif, Tedjini Berrazem, Mejdoub BENKHIRA, Benaïssa Boutaleb, Noredine Koroghlou et bien d’autres mélomanes. De ce point de vue, on peut dire que Si Habib Bentria est un pionnier en ce sens qu’il est le premier à avoir tenté d’implanter l’art de Ziryab et de Ibnou Badja à Mostaganem, et si les résultats obtenus ne sont pas à la mesure de son ambition et de ses efforts, son mérite n’est nullement diminué, car il aura eu au moins l’avantage de préparer toute une génération de jeunes adeptes prêts à tous les sacrifices avec, à leur tête, un homme de la trempe de Hadj Bouzidi Benslimane dont le rôle en faveur de la promotion de la musique andalouse dans toute la région sera déterminant.
C’est en 1950 que s’éteindra à l’âge de quarante huit ans Si Habib BENTRIA, laissant derrière lui un bouillon de culture des plus favorables que les générations suivantes sauront mettre à profit dès les premières années de l’Indépendance du pays.
Moulay Ahmed Benkrizi
Dans le monde fabuleux des arts, la musique classique algérienne peut se targuer de tenir en certains de ses maîtres, des figures de proue incontestées et incontestables. Parmi ceux-là, émergera un beau jour le grand musicien Hadj Moulay Ahmed Benkrizi, né un 04 septembre 1931, dont la réputation ne tardera point à dépasser les frontières de Mostaganem, sa ville natale.
Ce petit Moulay ne devait avoir que sept printemps en cette année 1938 lorsqu’il dut faire ses premiers balbutiements en touchant à son premier instrument.
Son père venait en effet de se payer une mandoline d’occasion pour la modique somme de quarante francs. Sa chance, il la tenait sans trop le savoir dans l’apport ô combien précieux d’un monsieur du Chaâbi à l’époque et ami de son grand père en l’occurrence, Cheikh Belkacem Ould-Saïd (1875-1946).
Jeune homme, l’élégant Moulay Ahmed devait fréquenter le Lycée René Basset pour décrocher son baccalauréat en 1954.
Au créneau de ses activités artistiques, il demeurera autodidacte jusqu’en 1964, année durant laquelle il rejoindra la prestigieuse « El-Moussilia » d’Alger, mettant à profit son court séjour professionnel. Il aura eu pour maîtres, Si Abdelkrim Mhamssadji et Mohamed Bensemmane.
Quelques années plus tard en 1967, l’éminent artiste connaîtra alors, un des tournants de sa riche carrière de musicien et ce, en fondant en compagnie de Hadj Bouzidi Benslimane, Benyahia Hamia, Houari Chalabi et Ismet Benkritly, la prestigieuse Section de Musique Andalouse du Cercle du Croissant dénommée aujourd’hui « Nadi El-Hilel Ettaqafi ».
Le maître Benkrizi tenait depuis, les rênes en sa qualité de professeur et notamment chef d’orchestre durant de longues années.
Affable et se distinguant par une humilité exceptionnelle, l’homme en fouillant dans ses souvenirs, est capable de vous déballer d’innombrables dates et repères témoignant d’un parcours artistique si étoffé, empreint des plus beaux engagements sur la voie du sacrifice et du devoir de l’œuvre accomplie.
Son premier concert en public, il le donnera en 1969 à l’Hôtel de Ville de Mostaganem en présence du Maître Si Abderrahmane Belhocine, professeur alors au Conservatoire d’Alger.
Quelques temps plus tard, l’invétéré musicien mettra de côté sa vieille mandoline pour se rabattre sur le violon alto ; c’était en 1971!
Hadj Benkrizi à cette époque-là, se trouvait au summum de sa gloire et ne finissait pas d’enregistrer à son compte et à celui de ses disciples, succès après succès. Pour la première fois dans les annales, Mostaganem, en cette année 1972, se voyait représentée par le grand orchestre du Nadi que dirigeait Moulay Benkrizi et où rayonnait déjà cheikh Nor-Eddine Benatia et le professeur Mohamed Tahar entre autres. Il s’agissait de la grande finale consacrant au T.N.A. d’Alger les meilleures troupes musicales ayant brillé dans les différentes prestations lors des festivals nationaux.
A travers l’exaltant cheminement artistique du gigantesque Benkrizi, celui-ci devait faire la rencontre de bon nombre de figures marquantes dans le domaine de la musique andalouse. Il se liera même d’amitié avec beaucoup d’entre eux à l’instar de Hadj Mohamed Khaznadji qui prendra ainsi le relais du regretté Hadj Omar Bensemmane pour continuer à enseigner à l’enfant de Mostaganem des morceaux peu connus et autres noubas dont plusieurs sont inédites.
Il aura en outre le privilège de côtoyer des hommes de la trempe de Sid-Ahmed Serri, Mustapha Skandrani, Mâalem Lili Boniche à Paris, El-Boudali Safir, Jawad Fasla, Mme Nadya Bouzar Kasbadji, Dahmane Benachour, Mohamed Toubal, Mohamed Mahieddine de Blida, Hadj Brahim Belladjreb de Koléa, Sadek El-Bidjaoui, Si Mohamed Bouali et Cheikh Larbi Bensari de Tlemcen, Hadj Mohamed Tahar Fergani et Bentobal de Constantine, Hassène El-Annabi, et Dieu sait si la liste est encore longue.
Hadj Moulay avait pour ainsi dire ce don de meneur d’hommes insoupçonnable et il lui a été donné l’occasion de diriger à maintes reprises d’importants concerts publics notamment avec Sid-Ahmed Serri à Mostaganem en 1995, puis en compagnie de Hadj Mohamed Khaznadji à Tétouan, à Tanger au palais Moulay-Hafid ainsi qu’au palais Moulay-Idriss Cherif El-Ouazzani en 1991, sans parler de ceux qu’il aura su mener de mains de maître dans la Perle du Dahra dans les années 1987, 1989,1991 et 1992.
Par ailleurs, il sera depuis 1974 au rendez-vous avec tous les festivals tenus traditionnellement à Tlemcen, Constantine et Alger, à l’occasion de la célébration de l’andalou, du Malouf, du Med’h et autre Printemps Musical.
Il aura longtemps sillonné son pays de long en large, d’Oran à Tlemcen en passant par Nédroma, pour se déporter vers Koléa, puis Constantine et bien d’autres hauts lieux de la musique classique algérienne.
Il laissera également ses empreintes quelque part à Damas, Oujda, Milan, Brescia, Paris, Tanger, Tétouan …
Après sa brillante carrière d’Inspecteur Principal des Impôts, maître Benkrizi est en train de couler tranquillement une retraite bien méritée et ce, tout en s’attelant à la finition de ses mémoires d’homme exceptionnel au talent immense de musicien et d’homme de culture de la première heure. Le R’beb et la cithare, comme le luth, le violon ou encore la kouitra, c’est toute sa vie. C’est parce qu’il y tient énormément que Hadj Moulay Benkrizi est, à l’âge de 77 ans, encore là, parmi nous, prêt à tous les défis.
Grand bien fasse pour des générations qui ont tant besoin d’apprendre ! Remerciements à Dr. Sidi Mohamed Fodil Benkrizi pour sa contribution.