Libres propos sur le Festival International du Malouf de Skikda
du 20 au 27 juillet
Entendu, vu et déclamé
Lorsque j’ai entendu parler d’un festival international du malouf qui sera organisé à Skikda j’étais très ravi. Faisant partie du mouvement associatif musical local, cela signifie qu’une opportunité se présente pour améliorer mes connaissances sur la musique, échanger des expériences, faire encore d’heureuses rencontres, tisser des liens de qualité avec des artistes arabes et étrangers, et enfin la joie de la population Skikdie qui a adopté le malouf déjà dans les années vingt. Ceci est un cadeau bien mérité puisque ma ville a par le passé abrité avec succès des dizaines de fois des manifestations consacrées au malouf uniquement.
Je n’ai pas tenu compte des racontars par voie de presse sur les échos venant de Constantine, ville par excellence protectrice et source du patrimoine malouf, où les gens n’ont pas apprécié du tout la tenue d’un tel festival en dehors de Constantine. Je n’ai pas tenu compte des réflexions vraiment vexatoires émanant de mes amis musiciens de la ville des ponts. Je n’ai pas tenu compte de la rumeur qui circulait à Skikda sur mon éventuelle désignation par le commissaire du festival dans son staff. Je n’ai pas tenu compte non plus de la mésentente ou de l’accro maintes fois étalé par la presse entre un wali et Mme la ministre.
Par contre, j’ai bien saisi le sens d’une telle décision très salutaire, oh combien intelligente de Mme la Ministre. Je résumerais cela en quelques phrases : Mme la ministre a sa propre vision sur cette question. Aussi, elle a tenu sa parole exprimée aux assises de Tipaza en avril 2005 lors de la création de la FNMCA où j’étais présent et élu membre assesseur dans le bureau national. Son idée est simple mais efficace : Trois grands festivals : un pour le gharnati, un pour la sanaâ et un autre pour le malouf. Mais… pas forcément domiciliés dans les métropoles de la musique classique qui sont Tlemcen, Alger et Constantine. L’idée est de faire profiter les autres villes qui ont adopté récemment le malouf à l’image de Mascara et Miliana, de Skikda et Annaba qui ont adopté la Sanaâ d’Alger, de la petite El koléa qui a hissé le niveau par son excellent travail de profondeur ou de Jijel qui a adopté le Gharnati voilà déjà une trentaine d’années. Bien sûr ! Même Bordj Badji Mokhatar peut profiter de cet art, si cette ville affiche un désir réel de promouvoir l’héritage de Zeriab ou d’Ibn El Badja. Je dis cela car un certain révisionnisme s’installe dans des mentalités nostalgiques. Ils veulent peut être que cette musique soit l’apanage d’une castre ou d’une noblesse perdue …?
Désormais, le génie populaire s’est emparé de cet art, et cela juste après le festival historique de 1967. Merci à nos politiques de cette époque, à leurs têtes, feu Houari Boumediene et un certain Feu Abou Dali Safir.
A quelques jours du lever des rideaux du théâtre lieux des prestations, rien n’indiquait qu’un imminent événement allait se passer à Skikda. Plusieurs fois je me suis rapproché de la Direction de la culture de notre wilaya, mais sans obtenir la moindre information sur les préparatifs. Pas de bande d’annonce à la télévision. Le programme n’était pas finalisé car beaucoup de monde prétendait que sa troupe était retenue pour faire sa nouba. Les cachets se négociaient jusqu’au dernier instant, c’est à dire à quelques minutes du show. Le commissaire du festival très collé à son téléphone semblait ne pas avoir un bureau pour coordonner avec Alger et ses collaborateurs ? A croire qu’il est seul à faire tout : Les affiches, les dépliants, les billets d’avions, les contacts avec l’étranger etc.…
A propos des collaborateurs ou staff ; au premier jour du festival j’ai vu au luxueux hôtel « Es Salem » lieu d hébergement de tous les festivaliers, beaucoup de gens faisant partie de l’organisation, que je connais bien et qui n’ont apparemment pas de tâches bien définies. Ce sont les invités ou vacanciers pris en charge ? Les jours passent et d’autres personnes arrivent et profitent de la fraîcheur de l’hôtel et du théâtre confortablement climatisé pour l’occasion. On invite qui on veut et n’importe qui sans se soucier de l’argent du contribuable. Et dans tout cela aucune compétence de ma ville ( là je fais allusion au mouvement associatif musical dont je fais partie ) n’a été sollicitée pour contribuer à ce grand forum sur le malouf. Pire encore, les associations Skikdies qui excellent dans le malouf et la sanaâ n’ont même pas étaient invitées à se produire chez eux aux plaisirs et à la fierté de la population Skikdie.
Enfin arrive le jour « J » les rideaux se lèvent et la musique commence. A la lecture du dépliant distribué aux spectateurs, un riche programme s’affiche sous nos yeux. Galas, Conférences et masters class (belle terminologie qui ne figure pas dans le lexique de la musique classique algérienne) Riche programme dites-vous ? Quelle illusion !
Voilà ce qui a été réalisé de ce programme :
De l’improvisation à outrance ! Jugez-en vous-même :
Décalage dans le programme, puisque la privilégiée el Andaloussia de Constantine prévue dans le programme à la clôture s’est produite le troisième jour.( une partie de ses membres avait séjourné à l’hôtel durant toute la semaine) ; l’orchestre National (ou régional) de la musique classique Algérienne programmé uniquement pour l’ouverture s’est produit une deuxième fois à la clôture avec le même programme et devant le même public ; une excellente troupe chaâbie déléguée par Annaba au festival, au lieu d’une formation représentant le malouf Annabi ; des troupes qui ramènent leurs classes d’initiation.au lieu de leur élite ; des troupes encore privilégiées invitées et qui ne jouent pas le malouf mais plutôt la sanaâ. Donc il n’y a pas eu au préalable des exigences et des critères de sélections sérieuses. Pourquoi alors n’a- t’on- pas invité tes troupes de l’ouest versées dans le gharnati ?
Des masters class (atelier de formation ?) qui sautent faute de formateurs et de public non informé des changements de dernières minutes. Un seul master class parrainé par le très habile Turc « Halil Karaduman » a été bénéfique pour le peu d’adeptes de « qanoun » qui se trouvaient par hasard à l’hôtel. Une autre séance improvisée tard dans la nuit après l’une des soirées où exclusivement une troupe nantie fut invitée. Mais aucun élément de cette troupe malouf n’a daigné y assister, laissant le généreux Turc attendre très tardivement seul avec son instrument.
Des conférences … ? Je n’ai assisté qu’à une seule. Son thème n’avait aucun lien avec le festival. Oui, il est aussi « culturel » ce festival me dit-on. Mais, pourquoi alors avoir annulé celles de Mr R.Guerbas de l’O.N.M.C.A (que lui-même avait oublié de venir au théâtre préférant s’attabler dans un café dégustant son thé alors que les mélomanes avertis l’attendaient avec impatience depuis trois heures), de M Koudja de l’institut supérieur du malouf de Tunis, du Dr Saadaoui de Miliana, de Mr Edouardo d’Espagne, de l’auteur du remarquable ouvrage sur le malouf Madame le Dr. Maya Saâdani, du Libyen Mr. Essabaâyi et Mr. Med Abderezak ?
Chaque jour à partir de quinze heures, je pointe au théâtre avec quelques musiciens locaux et aussi des participants étrangers hôtes du festival, pour suivre la conférence programmée et annoncée par microphone à la fin de chaque soirée. Hélas ! Rien de tout cela, même pas des excuses. Ce n’est que vers dix-huit heures de tous les jours que les organisateurs arrivent enfin, mais, pour veiller à la balance sonore des troupes étrangères Quel gâchis et quel mépris envers le public. En plus c’est une mauvaise image pour le pays.
Oui ! Il y a du positif dans ce festival. A commencer par le petit aménagement au théâtre. Comme l’équipement neuf des loges des artistes qui n’ont pas été rénovées depuis l’indépendance du pays. L’indispensable climatisation dans les coulisses et dans la salle de spectacles, et aussi le retour du public au théâtre qui a longuement ovationné toutes les troupes, malgré le peu de popularité de notre musique classique, surtout auprès des jeunes.
Que dire de la clôture du festival : mise en scène quasiment nulle, un mauvais timing entre les différentes prestations, un discours de clôture sans saveur et plein de « tachakourat » et une bavure envers le très jeune quatuor de Skikda qui a failli ne pas se produire car la décision a été prise de le faire jouer devant le public sans microphone, comme c’était le cas lors de l’ouverture. Et pour enfoncer le clou, au moment de la prestation du quatuor les caméras de la station régionale de Constantine ont été rabaissées et éteintes, donc les enfants qui ont tant répété le difficile « samai r’haoui » se trouvent frustrés à l’image de leurs parents présents dans la salle.
Enfin, tirons les conclusions de cette première expérience et attendons la prochaine ville candidate qui accueillera cette grande manifestation, qui mérite bien une attention particulière. Donnons plus de pouvoir à la direction de la culture de la wilaya, qui fera participer le mouvement associatif et les citoyens bénévoles, car l’argent appartient aussi au contribuable, et nul n’a le droit de le dépenser au hasard et parfois inutilement.
Vive la musique classique Algérienne, ce cordon qui nous lie à une civilisation autrefois riche et prospère.
Mouats Hafid ; Membre de l’association El Fenne Wel Assala Skikda.
Email : mafid2003@yahoo.fr http://diapasondeskikda.blogspot.com/