Cheikh Larbi BenSari
« Il était une fois la mémoire…41 ans après… »
Issu d’une famille d’agriculteurs, le cheikh a vu le jours quelque part dans les hauteurs de Tlemcen; sa date de naissance diffère selon les références existantes, mais les témoignages, photos ou vidéos soutiennent qu’il est décédé centenaire.
Comme la majorité des maîtres de l’époque, il eu droit à l’école coranique. Après ce passage nécessaire pour l’instruction et l’initiation aux valeurs religieuses- jeune adolescent, il fut placé par sa famille chez un coiffeur en plein centre ville, ce qui basculera sa vie et illuminera son chemin vers une longue et riche aventure car, le hasard lui fait côtoyer en cet endroit des noms ayant marqué l’histoire musicale de l’époque, tels : -Cheikh Ménouar Benattou, décédé à Fez et à qui on doit une grande partie de notre répertoire du genre Gharbi – Les frères Ghouti et Med Dib (ce dernier étant le grand père de notre écrivain Mohamed Dib)- Ichoua Médioni, dit Maqchiche qui n’est d’autre que le grand père de Saoud l’Oranais (artiste à part entière et connu comme le principal maître de Reinette Daoud)- et enfin, Cheikh Mohamed Benchaâbane, dit « Boudhelfa », à qui notre Cheikh doit principalement sa formation musicale. Ce dernier était jeune certes, mais accompagnait déjà ses aînés lors de soirées familiales, jusqu’à ce qu’il forme son propre orchestre, avec lequel il fera connaître une brillante gloire au patrimoine musical tlemcenien, et à l’Algérie d’une manière générale ; car il représenta notre pays à maintes occasions, dont à l’Exposition Universelle, organisée en France au début du siècle dernier, où lui fut attribué le grand prix de Rbeb. Aussi, son orchestre fut choisi pour participer au 1er congrès de la musique arabe, qui s’est déroulé au Caire en 1932. L’orchestre était constitué de Omar Bakhchi et Kaïd Slimane qui s’accompagnaient à la Kouitra , M’Hammed Bensari à l’Alto, Mohamed Sari au Luth, Abdellah Benmasour à la Derbouka , et enfin son jeune fils Ahmed Bensari, devenu plus tard « Cheikh Rédouane », à la Mandoline ; Cheikh Larbi qui dirigeait l’orchestre, tenait son majestueux Rbeb.
En 1948, Cheikh Larbi fut désigné directeur artistique de Radio Tlemcen, qui venait d’être créée. C’est grâce aux programmes musicaux de son orchestre que fût récupérée une grande partie de notre patrimoine. Tant de pièces furent ainsi enregistrées, dans la Sanaâ (noubates), Hawzi, Aâroubi, Gharbi ou Madih; tantôt en chorale, tantôt en solos avec les voix de certains de ses compagnons musiciens: Boumediène Benzineb (dit Benqbil), Abdelghani Malti, Bachir Zerrouki, Moïs Deraï, Kheireddine Benaboura, et enfin El Hadj Mustapha Brixi, âgé actuellement de 86 ans. Notons que Cheikh Larbi prêtait assez rarement sa voix pour les solos , on peut citer la Qacida dans le genre Madih (Ya Madinat Errassoul Mahlaki », qu’il a lui-même composé après son pèlerinage aux lieux saints.
Grâce à la Radio, Cheikh Larbi a pu continuer sa longue série d’enregistrements, déjà entamée depuis la fin des années 20’ sur disques 78 tours. Qu’il soit au Rbeb, Qanoun, ou à l’Alto, sa rigueur fut instaurée au groupe pour faire la différence, à chaque fois avec autant de grâce, ne laissant à l’auditoire d’autre choix que de se laisser emporter par la musicalité d’une Touchia Sabah El Aârous, une Slisla Mizène Sofiane, une Nouba Zidane, ou n’importe quelle autre pièce classique ou populaire.
L’aspect humain du Cheikh y est également pour faire de lui un être exceptionnel. A toutes ses autres qualités artistiques, était associée la générosité ; Cheikh Larbi était de ceux qui « donnaient », ce qui n’était (n’est) malheureusement pas le cas chez certains autres maîtres, qui refusaient de transmettre l’enseignement de tel ou tel « Ch’ghol », préférant jouir d’un certain sentiment d’exclusivité : C’est de la sorte que tant de morceaux ont été perdu. Cheikh Larbi, lui, accueillait à bras ouverts ceux qui venaient le solliciter de près et de loin.
De cette générosité, nous témoigne le grand artiste connu sous le nom de Samy El Maghribi, actuellement installé à Montréal : «…Vers la fin de 1953, je suis entré à Tlemcen, spécialement à la recherche de Cheikh Larbi : En roulant, je croise un piéton et lui demande s’il le connaissait ; il me répond : je suis son gendre et vous accompagnerai chez lui avec plaisir. Son accueil à mon égard a été chaleureux et après m’avoir offert le thé, il a accepté de m’écrire les paroles d’un hawzi que je désirais apprendre et qu’il m’a posté quelques jours après. En 1954, j’ai chanté à la salle des fêtes de la mairie de Tlemcen, durant quatre soirées suivies, refusant d’utiliser la sonorisation, devant un auditoire sélect de 400 personnes chaque soirée, lequel m’a réservé un succès au-delà de ce que je souhaitais. Cheikh Larbi, répondant à mon invitation, arrive le quatrième soir ; faute de place, on le fait asseoir sur scène et lorsque je lui fais la surprise de lui chanter le hawzi qu’il m’a écrit, il se lève et me donne l’accolade, applaudi par tout le public : ce fut un événement extraordinaire qui demeurera éternel dans ma mémoire et mon cœur. Il m’a fait l’honneur de m’inviter à une émission à la station de Radio- Tlemcen, où ma joie était évidente de l’entendre chanter accompagné de son orchestre. Nous avons ensuite gardé le contact pendant quelques années, durant lesquelles il m’envoyait des hawzis choisis que je lui demandais, tels ‘ Min ibat irâi elhbab’, ‘B’qit mehmoum men firaq ghssan’ et d’autres… ». A 84 ans, Samy exprime à chaque occasion son admiration pour ce grand maître et sa gratitude, et évoque son passage à Tlemcen comme étant l’un des moments glorieux ayant marqué sa vie artistique.
Ainsi, le style musical connu par « l’Ecole de Tlemcen » restera protégé par l’ultime référence : Cheikh Larbi Ben Sari, avec ce qu’il a laissé comme enregistrements sonores, pièces manuscrites, et ce qu’il a laissé de plus beau, son fils Rédouane, qui s’est exilé au Maroc en 1958, mais qui demeure malgré tout son principal héritier sur le plan artistique, un géni, une éternelle légende musicale.
Quarante et un ans depuis la disparition de Cheikh Larbi Ben Sari, pas moins de 15 associations musicales ont vu le jour à Tlemcen et sa région. Qu’elles se disent, ou se fassent gardiennes du temple «Cheikh Larbi », ces associations arrivent tant bien que mal à assurer la continuité, par l’enseignement du patrimoine andalou à la nouvelle génération, ou par sa diffusion et sa sauvegarde grâce à l’enregistrement et à l’archivage.
Le 24 décembre de l’année 1964 l’Algérie a vécu la disparition de l’une de ses plus grandes figures ayant marqué son 20ème siècle musical: El Hadj Cheikh Larbi Ben Sari, connu comme étant le père spirituel de la musique andalouse à Tlemcen.