Cheikh Boukli Hacène Salah, figure emblématique de la musique arabo-andalouse, symbole de l'érudition musicale traditionnelle, virtuose du Rbab reconnu, lui qui, à l'âge de trois ans jouait de la flûte, vient de faire sa révérence à la maison de la culture après plus de 40 ans de mis en exergue des musiques savantes algériennes.
«Une retraite de la maison, mais pas de la culture»
Né en 1945, il sera musicien en 1958. Mais ce qui l'a toujours enchanté, n'est point le fait de chanter, car «à l'époque, dira-t-il, il existait des maîtres avec qui l'on ne pouvait rivaliser et que l'on respectait». Sa vie durant n'est que recherche, recherche de cette note magique «qui sonne comme sur les doigts de Zeryab», ses études ont surtout portées sur des thèmes spécifiques à la musique sur le plan historique, ethnologique, linguistique et musicologique; M. Boukli Hacène Salah, qui est président de l'association El-Kortobia, a eu le privilège durant toute sa vie artistique d'animer plusieurs conférences par une communication ayant pour thème «Introduction aux origines de la nouba et au répertoire de la musique à Tlemcen, (1ère partie)» qu'il a de tout temps réactualisée au gré des résultats de ses recherches jusqu'à la partie. Cheikh, comme on aime à l'appeler dans les remparts de Tlemcen, reste toujours attaché à la recherche et à plusieurs associations culturelles musicales rendant ainsi hommage à tous ceux qui ont veillé sur la préservation et la sauvegarde du patrimoine musical ainsi qu'à ceux qui l'ont enseigné et transmis. Abordant le vif du sujet, lors de notre entretien, cet ancien directeur de la maison de la culture de Tlemcen et maître de la musique andalouse et du Hawzi possédant le patrimoine musical et poétique nous expliquera qu'il a toujours été fasciné par les origines de la «Nouba» sur le plan linguistique, historique et pratique. «C'est ma manière à moi de combattre la culture de l'oubli dans un pays où la culture est la cinquième roue du carrosse». Il a mis l'accent sur la «Nouba orientale» du VIIIème siècle qui se composait de deux mouvements et qui au fil des temps a subi des influences persanes pour avoir d'autres appellations au XIème siècle pour atteindre, au XIIIème siècle, quatre mouvements et, au XIVème siècle cinq mouvements. Quant à la «Nouba» de Zeryab elle se composait de quatre mouvements au IXème siècle a conservé deux mouvements de l'Ecole Ancienne appelée Ecole des Oudistes. Notre Cheikh, chef du grand orchestre de Tlemcen, nous abordera la Nouba de Ibn Baja (Aven Pace) du XIIème siècle et qui se composait de quatre mouvements en ajoutant El Mouwachahat et Azjal. «La Nouba actuelle se compose de cinq mouvements dont les noms diffèrent totalement de celles de Zeryab ou Ibn Baja. Pour en connaître l'appellation, il est nécessaire de recourir à la Qacida de Ahmed Ben Triki du XVIIème siècle «El Id El Kebir Oua El Ferdja Fi Bab El Djiad», dans laquelle le poète cite le Haouzi, le Bedoui et Gharnata qui désigne «la musique savante». Cheikh Salah, dépoussiérera pour nous un manuscrit sortit des boîtes qui s'amoncellent dans son bureau en désordre et qu'il doit quitter à la fin de la semaine «Le deuxième livre de référence d'Edmond Yafil», maître d'Alger qui dit dans sa préface: «Il est consacré aux poésies qui nous ont été transmises par la tradition sous le titre général de Gharnata et qui constitue le répertoire des Anciens Maures des VIIIème et XIème siècles». Le terme de Gharnata est cité plusieurs fois. Toutefois, le livre de 1904 ne cite en aucun moment le terme Sanaâ. Tandis qu'à la même époque un autre livre est édité sous le titre «Kechf El Qinaâ» de Ghoutsi Bouali utilisant le terme de «sanaâ» et «sanaî» pour désigner le genre et surtout le «Tabaâ» (tempérament). Ce même terme est repris dans un manuscrit de Cheikh Larbi Ben Sari de 1930 pour désigner le corpus de chaque mode.
Cela explique que le terme Gharnata et le terme Sanaâ est propre à la musique savante qui se chantait de Tlemcen jusqu'à Béjaïa en passant par Alger et Blida et de Béjaïa à Tlemcen. Cela explique pourquoi les maîtres s'enrichissaient mutuellement sans aucun complexe.
Ce qui est le plus à retenir, c'est cet engouement qu'a eu Cheikh Salah disciple de feu maître Si Mohammed Bouali, à s'enfermer des heures durant, voire des jours, dans ce bureau à vouloir faire renaître cette musique du terroir qui si elle n'est pas transmise, risque de disparaître de la mémoire collective. Des journées, en présence de grands maîtres tels Redouane, Larbi Ben Sari, Dali, la redynamiser;
Il réussira, en 1991, à composer une Nouba sur le mode majeur déposée à ONDA. Et depuis, ce sont plus d'une cinquantaine de Noubas qui ont été enregistrées. Son parcours professionnel est long et c'est le vague à l'âme qu'il tentera de nous restituer les plus grands moments qui ont marqué sa vie artistique et culturelle: Cheikh Salah a été l'auteur et le compositeur de chant patriotique intitulé «l'Unité de l'Algérie» enregistré par la télévision nationale à l'occasion de la commémoration du 43ème anniversaire de la Révolution en 1997. Il a aussi composé les Dix Sonates des Dix Portes de Tlemcen. Homme de théâtre, de 1962 à 1967, il a aussi joué dans deux films culturels réalisés par Hadj Mansouri de la Télévision algérienne. Il s'est très bien investi dans les rôles de Bensahla Boumédiène et du frère de Cheikh Ben Triqui. C'est aussi un chercheur en lutherie et maître luthier depuis 1971. Ses oeuvres de Rbab se trouvent exposés à l'UNESCO, en Inde, en Amérique, en Corée du Sud, en Belgique, en France, en Italie, au Maroc. Il a crée un instrument de musique typique appelé ILKOUB (anagramme de son nom), déposé au CNRC du ministère de la Justice. Il sera membre de la commission nationale de l'Artisanat au ministère du Tourisme et de l'Artisanat pendant plusieurs années et Président de l'association pour la sauvegarde et la promotion de l'artisanat de la wilaya de Tlemcen depuis 1991. Son art s'étend à la peinture où il s'est spécialisé dans le symbolisme et où ses oeuvres ont longtemps été exposées à la maison de la culture et au «Palais de la culture d'Alger». Conseiller en source bibliographique et en culture populaire, il anime plusieurs émissions culture à la télévision et à la radio locale et les chaînes 1 et 3. Ses conférences et ses études ont été publiées sur le bulletin du festival de Tlemcen, sur le bulletin du festival d'Oujda.
Mais c'est avec humilié et la timidité d'un grand poète qu'il nous dépoussière son répertoire de poèmes. Il a été parmi les premiers qui ont chanté le patrimoine des grands cheikhs. Ce sont des qacidates avec lesquelles Cheikh Salah Boukli éveille dans les soirées, les veillées des sentiments de nostalgie et qui sont une belle réactualisation des histoires du présent, de son vécu aussi: «Si je pouvais disposer des ailes de l'aigle» ou encore celle qui fait se lever toute une assistante charmée déjà par sa douce voix et les sons des cordes que font surgir de la caisse d'un luth de sa conception, ses doigts magiques: «Oh hôte de Tlemcen, rend visite à mon amour et embrasse sa tombe». Tous ses poèmes, en conservateur des traditions qu'il est, dénotent d'un regret du temps d'autrefois, les altérations physique et morale de la ville des Remparts aux Dix Portes. Avec lui, l'andalou retrouve son verbe, ses subtilités et sa chaude ambiance. Et ses amis sentent, sans qu'il ne le raconte, que les mots se sont imposés à lui dans une conjoncture précise et c'est tant mieux, car, qu'il s'en afflige ou s'en réjouisse, le poème ne lui appartient plus. Il nous rappelle, lui qui a été distingué en Espagne, au Maroc et en Algérie, ses maîtres qu'il a honoré à chaque fois qu'il a posé un Rbab, un luth sur ses genoux, lui qui a su harmoniser ses désirs et ses renoncements, lui qui a su cacher ses amours dans ses vers, lui qui a su s'exiler dans des poèmes. Fera-t-il un recueil de ses poèmes, lui qui est en train d'écrire ses mémoires, ses quarante années au profit de la culture. Il a rendu plusieurs hommages aux hommes de culture: Abdelkader Alloula, Rachid Baba Ahmed, El Hamch Abdelkrim, Maârouf Sid Ahmed, Maâlem Benkalfat Mohammed, Cheikh Mustapha, Skandrani, Le Professeur Ahmed Wahbi, Cheikh Mohammed Bouali et Driss Rahal.
Pour tout ce qu'il a fait pour la culture à Tlemcen, pour la musique, on se devait bien de lui écrire une Nouba.
Une nouba ?
Une nouba pour Cheikh Boukli
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