Tout d’abord, quelques mots sur Tewfik Benghabrit ?
Avant tout, je voudrais remercier Kawther de m’avoir donné encore une fois l’opportunité de m’exprimer dans cet espace très sympathique, andaloussiate Blog, qui réunit à la fois les artistes et les mélomanes de ce bel art que nous chérissons tant.
Il m’est toujours un peu difficile de me présenter au grand public car, à chaque fois qu’on me demande de le faire, je ne sais quelle casquette mettre en avant : Quand je passe à la télévision, le lendemain, mes étudiants à l’université sont tous étonnés de découvrir que leur prof jouait du oud et qu’il chantait une quelconque qacida du patrimoine. La réflexion est pratiquement la même quand, à la fin d’un concert, on me demande ma carte visite dans laquelle sont mentionnées mes coordonnées professionnelles. Mais là je suppose, je me présente au grand public amateur du patrimoine musical algérien :
Je ne sais pas si c’est moi qui suis allé vers la musique ou bien si c’est la musique qui est venue vers moi. Certes, j’ai grandi dans un environnement très favorable à la musique mais je crois aussi qu’on naît musicien quelque part. Mon père allah yarhmou adorait la musique andalouse et jouait très bien le piano : cet instrument auquel son oreille s’est probablement habituée grâce au contact régulier qu’il avait avec son beau-frère (le mari de sa sœur) en l’occurrence Djilali Zerrouki, virtuose de piano, mais aussi avec son neveu plus tard, Bachir Zerrouki, rebbi yarhamhoum.
En fait, ma biographie est double : j’avais mes études à faire : après l’obtention de mon baccalauréat en 1978, je fis une licence de français à l’université d’Oran (Es-senia) et je me retrouve en septembre 1982, n’ayant pas encore atteint l’âge de 23 ans, professeur de la même discipline au lycée Polyvalent de Tlemcen. J’entame une carrière d’enseignant car la pédagogie, le contact avec les jeunes et le partage des savoirs et savoir-faire allaient très vite devenir des passions dont je ne pouvais me passer.
Parallèlement à mon parcours professionnel, la musique m’a toujours accompagné ; je dirais même qu’elle a toujours été là pour me « soutenir » à chaque étape de ma vie qui était celle de tout jeune algérien des années 70/80. Nous verrons les différentes « escales musicales » dans la question qui va suivre.
Pour faire plus court, j’entame une longue carrière d’enseignant de lycée pendant 20 ans après quoi, je décide de m’inscrire à un concours de magister à l’université d’Oran dans la discipline qui me passionne à savoir, la didactique des langues étrangères, et je fus reçu. Entre temps, je fus nommé Directeur de la culture de la wilaya de Tlemcen (entre 2003 et fin 2004) et je m’étalerai sur cette étape dans une autre question. Je soutiens mon magister en juin 2004 et je quitte la direction de la culture le mois d’octobre suivant pour rejoindre l’université Aboubekr Belkaïd de Tlemcen où je renoue avec mon ancien amour : l’enseignement et la pédagogie. Je soutiens ma thèse de doctorat le mois d’octobre 2010 et je suis actuellement maître de conférences au département des langues étrangères de l’université de Tlemcen.
Quel a été le 1er contact avec l’instrument, débuts, maîtres?
J’ai commencé par apprendre à jouer de la guitare, puis la mandoline, en passant par le violon et le mandole. Cependant, mon instrument de prédilection était el oud car il est magique, exprimant à la fois la mélancolie et la gaieté.
J’apprends les premières notes de musique chez Maître Salah Boukli-Hacene au CEM El Maqarri au début de années 70. Ensuite, une fois au lycée, je rejoins l’association « Mustapha Belkhodja » qui activait au sein du lycée Dr Benzerdjeb où je faisais ma scolarité. Je participai alors à la 1ère édition du festival national de Tlemcen : cela s’est passé au lycée Maliha Hammidou et on avait joué noubat Edhil : Il y avait avec moi dans l’ensemble, Bouali Abdallah (fils du cheikh), Fewzi Kalfat, Zakya Hassaïne (devenue Mme Kara Turki), et bien d’autres musiciens de talent.
Vers la fin des années 70, je rejoins la société littéraire artistique et musicale (SLAM) dirigée à l’époque par maître Si Mohammed BOUALI allah yarhmou. C’est au sein de cette association que j’ai développé l’apprentissage des structures modales de la nouba, des signatures rythmiques de ses composantes (M’cedder, Btayhi, dordj, insiraf, mokhlass) mais aussi des touchiate, krassi, kadriate. En somme, ce fut le moment et l’endroit propices pour développer la maîtrise de la nouba car, Echeikh Allah yarhmou n’aimait pas beaucoup nous apprendre le haouzi qu’il jugeait plus au moins « dégradant » par rapport à la çanaâ. Dans cette période, j’ai côtoyé de nombreux musiciens et interprètes de talent : Zoheir Chikhi, Fewzi Kalfat, Si Ahmed Baghdadli, Salah Boukli, Tahar El Hassar, Braham Abi-Ayad, et des jeunes qui ont continué dans d’autres associations.
L’autre étape était celle où j’ai senti le désir de me « libérer » de tout cadre « conventionnel » pour pouvoir aussi m’exprimer comme je l’entendais : Il ne s’agissait nullement pas de rupture avec la tradition et l’appartenance à une école, à une lignée, comme certains l’avaient perçue à ce moment-là. Ma nature d’étudiant chercheur et d’enseignant-chercheur par la suite ne me permettait plus de rester « figé » dans un « moule » avec le risque d’étouffement et de ne plus pouvoir m’en sortir : je ressentais tout simplement le besoin de m’exprimer moi aussi. Ceci étant, il y avait un environnement d’écoute qui se développait autour de moi : on écoutait beaucoup Cheikh Redouane Bensari à travers les bandes magnétiques qui circulaient d’une maison à une autre ; On écoutait Abdelkrim Dali et sa voix qui portait et qui emportait ; Samy El Maghribi qui plaisait beaucoup aux jeunes à cette époque. En outre, j’accompagnais mon père dans les mariages pour assister à de véritables « concerts de musique », contrairement à aujourd’hui : je découvrais Boubekeur Benzerga Allah yarhmou, el Hadj Ghaffour, le jeune Koufi de l’époque, Mustapha Brixi allah Yarhmou etc. Par ailleurs, tout le monde se débrouillait aussi les bandes sonores de Dahmane Benachour que j’aimais bien, de Sadek El Bejaoui et bien d’autres chouyoukh de la çanaa algéroise.
Parallèlement aux chanteurs solistes, un nouveau son de cloche nous arrivait d’Oran avec un travail d’interprétation vocale et orchestrale remarquable : De jeunes prodiges, une nouvelle génération est née, celle des frères GHOUL qui étaient tous passionnés (mewlou3ine) mais qui avaient fréquenté aussi le conservatoire d’Oran.
Donc, toutes ces données ont fait que ce jeune Tewfik Benghabrit n’allait pas rester les mains croisées et regarder le monde passer. Tout s’enchaîne alors : enregistrement de mon premier album, récitals à la télévision avec feu Mustapha Skandrani, concerts, mariages etc.
L’activité musicale à cette époque à Tlemcen ?
L’activité musicale était intense à Tlemcen : il n’y avait ni argent, ni tournées artistiques soutenues par l’état ni rien ; le ministère de la culture était inexistant, même que dans les wilayas, c’était le directeur de l’éducation qui était chargé de coordonner les quelques rares actions culturelles qui existaient. C’était une époque où l’on devait compter sur soi-même : les initiatives personnelles, les fêtes organisées par les écoles et collèges, les associations etc. Il n’y avait que le festival national de la musique andalouse que prenait en charge la direction de la jeunesse et des sports.
Sinon, tout se passait à titre privé et là, ce fut un régal : les réunions de famille (pas nécessairement à l’occasion d’un événement), les retours de la Mecque, les circoncisions, les fiançailles, les mariages (le lendemain de la cérémonie où toute la famille est disponible) etc.
On invitait parfois dans un salon, un cheikh en solo, uniquement avec son oud : c’était magique. Je suppose que cela se déroulait de la même manière dans plusieurs villes d’Algérie : Blida, Alger, Mostaganem, Koléa, Cherchell, Béjaia et autres…
A cette époque, il y avait un autre contexte, les gens vivaient très simplement et le monde n’était pas encore envahi par ces nouveaux « besoins » de consommation moderne et les 24 heures de la journée et de la nuit ne fonctionnaient pas de la même manière qu’aujourd’hui : on avait le temps d’écouter l’autre, d’apprécier les bonnes choses dont la musique, de siroter un bon verre de thé à la menthe en tenant une belle conversation tout en prêtant l’oreille à l’exceptionnelle voix de Redouane Bensari interprétant majestueusement inkilab zidane « Ya Badi3 El Housne ».
Parlez-nous de votre passage à la direction de la culture de Tlemcen
Il fut très bref, 15 mois en tout et c’était suffisant pour comprendre deux choses : d’abord qu’il était difficile de développer l’action culturelle sans aucune aide financière car, il faudrait revenir au contexte de l’époque où les directions ne percevaient aucun argent destiné à l’animation culturelle ; c’était du ressort des maisons de la culture. D’autre part, il était difficile pour moi, de faire adhérer la communauté Tlemcenienne à mettre en place des projets à moyen et à court terme car c’est toute une culture qu’il fallait installer, alors qu’ils voulaient organiser de petites actions dans le cadre de leur association ou à titre individuel.
Comment t’es venu le don de la composition ? -Que sont devenues ces compositions ?
Comme je l’ai annoncé plus haut, mon profil a toujours été celui de quelqu’un qui apprend, qui défend ce qu’il a appris et qui agit aussi ; et là, je fais allusion à la production, l’innovation etc. Il y avait des étapes dans ma vie où je reprenais les chansons du terroir mais par moment, j’éprouvais aussi ce grand besoin de m’exprimer. Et comme j’étais musicien, c’était l’outil par excellence qui me permettait d’extérioriser des sentiments, des constats, des réflexions. J’ai beaucoup écrit quand je me retrouvais seul dans ma chambre universitaire à Oran ; j’ai beaucoup composé aussi quand je faisais mes deux ans de service militaire à Blida. Mais c’est à Tlemcen que j’ai composé une bonne partie de la poésie. Que sont-elles devenues ? Une trentaine de textes composés, avec leur mélodie mais qui n’ont pas été tous interprétés : la raison est simple, la composition restait encore un tabou vis-à-vis des puristes. Une autre partie a été chantée par moi-même. D’autres, ont été reprises par d’autres chanteurs et elles sont « mélangées » maintenant avec ce que l’on appelle communément : « le patrimoine ». Mais j’ai beaucoup composé aussi sur commande, à des chanteurs et chanteuses qui voulaient interpréter un sujet particulier : exemple celui de l’éloignement et de la nostalgie : « Ya lahbab El wahche rah bane » où je fais un tour dans l’actuel Tlemcen, une chanson composée selon le modèle Haouzi pour une soliste habitant en France. Mais sinon, j’ai composé sur des sujets variés, exemple : la célébration des fiançailles, que j’ai écrite pour une chanteuse que je n’ai plus revue ; Malika Meddah ; mais il y en avait d’autres.
Très prochainement, il y aura une grande composition qui sera connue au grand public algérien, un travail qui me tenait à cœur mais un peu plus difficile à réaliser que les précédents et je ne vous en dirai pas plus, ce sera la surprise de la nouvelle année.
Votre nom rime souvent avec le genre madih ou samaâ, comment vous est venu cet intérêt particulier pour le soufisme et de la zaouia ?
Vous savez, paradoxalement à ce que l’on peut penser, je n’appartiens à aucun courant soufi et je n’ai pas vraiment fréquenté les zaouias en tant qu’adepte. Cependant, les confréries m’ont toujours inspiré à composer les mélodies merveilleuses de notre patrimoine. Elles ont su préserver des airs qu’on chantait même dans le haouzi mais qui ont disparu. Et puis, c’est très beau de les écouter « chanter » tous à l’unisson, avec ce mélange de voix graves des vielles personnes, mélangées à celles des plus jeunes faisant ainsi une petite symphonie qu’on « déguste » de manière agréable.
Comme j’avais compris dès mon jeune âge qu’une chanson c’est un texte + une mélodie, je n’étais pas très à l’aise de composer des chansons qui reprenaient des sujets tels que l’alcool ou la description des grandes soirées nocturnes qui mettaient en aval les harems et les thématiques semblables. Ayant grandi dans une famille pieuse où les valeurs du respect de l’autre constituaient les fondements de base de mon éducation, je ne pouvais que reprendre les belles mélodies et mettre des textes qui pouvaient être appréciés par toute la famille. Ce fut d’ailleurs la « clef » qui m’a permis de m’introduire au sein des grandes familles tlemceniennes qui devaient célébrer les belles fêtes de mariage mais avec un chanteur « crédible et avec qui notre famille est à l’aise » me disait-on. Combien de fois j’ai entendu un discours de ce genre et cela était très pesant pour moi car je devais assumer cette lourde responsabilité. Ajouté à cela, dans les années 80, il y avait émergence massive de nouveaux « chebs » de la chanson Raï qui gagnait du terrain et inutile de vous faire un dessin de l’image qui était véhiculée à travers les contenus que nos jeunes reprenaient en cœur lors des fêtes familiales. Le medih répondait à cette mouvance qui régnait à cette époque.
On vous a vu dernièrement animer des conférences sur Sidi Boumediene El Ghawt, que représente pour vous ce poète « saint patron » de la ville de Tlemcen ?
Ce fut une découverte pour moi, il y a quelques années quand j’ai pris connaissance de la poésie de ce grand homme en l’occurrence Abi medyene Choaib. Il s’agit de poèmes andalous, comme on les aime, avec la particularité qu’ils traitaient de sujets soufis. C’était une valeur ajoutée pour moi. J’ai adoré ses textes qui sont d’une beauté extraordinaire et j’avais envie de composer des mélodies et les chanter, ce que j’ai fait.
En plus, en lisant le parcours exceptionnel de cet érudit j’ai éprouvé le besoin de partager son histoire avec le grand public qui ne le connaissait qu’en tant que « ouali ». Autre paradoxe, la première demande de la conférence pour évoquer son œuvre émana de l’institut de « Cervantès » d’Oran. Ce n’est qu’après que je la refais à Tlemcen, à Montpellier, à Koléa etc.
Après toutes ces années, il est tout de même étonnant que vous n’ayez pas beaucoup enregistré, quelle en est la principale cause ?
Sans prétention aucune, Cheikh Larbi Bensari n’a pas fait d’album, ni Redouane non plus. Les grands maîtres de l’andalou, du haouzi et du chaabi, n’ont pas beaucoup enregistré mais on parle d’eux comme de grands maitres. L’autre raison, plus terre à terre cette fois-ci, il me semble que pour enregistrer des albums, il faudrait se libérer et ne se consacrer qu’à cela, au métier. Pour ma part, j’avais fait un autre choix, celui d’une carrière d’enseignant chercheur et donc, je ne peux disposer d’un mois complet pour être dans un studio, faire des répétitions avant, chercher des éditeurs etc. Par contre, j’ai souvent aidé de jeunes artistes à enregistrer des albums en les accompagnant à produire dans des studios d’enregistrement. Cependant, cela ne veut pas dire que je n’en ai pas envie : je compte vraiment enregistrer un album dans les jours qui viennent.
Parlez-nous de votre expérience avec l’orchestre régional de Tlemcen.
J’ai toujours adhéré à des programmes de travail d’équipe et aux projets qui touchent à rendre plus performante notre musique andalouse. Depuis 1999, il y a eu une série de projets à Tlemcen mais aussi à Alger auxquels j’ai activement participé ; certains ont plus ou moins assez bien fonctionné, d’autres n’ont pas abouti : la création de l’orchestre pilote de Tlemcen, l’orchestre du conservatoire communal de Tlemcen, la création de l’ensemble national à Alger en 2003, ensuite, la mise en place des ensembles régionaux dont celui de Tlemcen. Il y avait ce projet de réunir de jeunes talents et faire appel aux plus anciens mais qui avaient des savoir-faire à transmettre mais qui avaient aussi des prédispositions didactiques pour pouvoir le faire. Donc, le but, encore une fois, n’était pas celui de devenir une vedette mais de promouvoir cette musique. J’avais la tâche de mener avec des jeunes qui le dirigeait (Benzemra Abdelmadjid ensuite Yacine Hammas) cet ensemble pour accompagner et encadrer de jeunes talents.
Vous êtes connu pour votre générosité à prendre les jeunes artistes sous votre aile, êtes-vous confiant quant à l’avenir de ces jeunes au service de la musique traditionnelle de Tlemcen ?
Oui, franchement je reste confiant ; c’est le pédagogue qui parle : il ne faut pas voir le mal partout, même si les jeunes nous donnent parfois l’impression qu’ils dérivent, dans le jeu du violon par exemple. C’est quoi la norme ? C’est qui la norme ? Ce qu’il faudrait faire, c’est agir, avec subtilité et pédagogie. On peut critiquer certes ! Mais que fait-on pour y remédier ? Ce que tu appelles « générosité » n’est autre que l’action à entreprendre pour accompagner ces jeunes qui veulent devenir de grands musiciens, d’autres de grands chanteurs et n’y a aucun mal à les aider à réaliser leur rêve.
C’est peut-être la raison qui expliquerait pourquoi je ne veux pas rester sous les projecteurs, comme ne pas enregistrer ou ne être à la tête d’une direction de culture, mais plutôt créer des actions comme celle que j’ai réalisées récemment : Organiser l’hommage de Chikh Salah Boukli, l’expérience de ramener un orchestre symphonique du conservatoire de Lille pour interpréter touchai Kebira et d’autres pièces andalouses avec des musiciens de Tlemcen ou le colloque international sur la musique andalouse que j’ai organisé à l’université etc. Je me vois beaucoup comme un militant de la culture plutôt qu’un « chanteur connu qui a fait quelques 20 albums etc. »
Comment imaginez-vous la sauvegarde de ce patrimoine ?
Je ne peux imaginer plus que ce qui est en train de se faire. Certes, on peut fantasmer un peu et dire qu’il vaut mieux insérer dans les projets de l’éducation nationale l’apprentissage de cette musique ou encore, créer des conservatoires dans chaque wilaya du pays et qui prendraient en charge son enseignement, mais bon ! Je regarde souvent à la télévision algérienne des associations de tout le pays, exécuter des noubas complètes et là, je suis ravi. Même si à Tlemcen on sent une certaine souffrance du côté des associations qui, à quelques exceptions près, n’activent plus comme avant, contrairement à celles des wilayas du centre et de l’est qui m’impressionnent de plus en plus par leur travail : j’en ai fait le constat quand j’avais présidé il y a deux ans le jury du festival de la musique haouzi de Tlemcen.
Cependant, je respecte profondément tous les profils, aussi différents soient-ils, de certaines associations qui ont leur façon de voir, leur projet particulier et les finalités auxquelles elles aspirent.
Nous voyons de plus en plus de festivals à travers le territoire national, mis à part ces « fêtes », quel serait à votre avis le vrai soutien que puisse apporter l’état à cette musique et de façon concrète ?
Là aussi, je risque de déplaire à certains mais j’en prends l’entière responsabilité : je pense très sincèrement que le passage de Khalida Toumi à la tête du secteur de la culture a été d’un grand apport. Cela ne veut pas dire qu’elle tout réglé ou qu’elle a tout réussi. Mais quand-même, je pense qu’elle a reconsidéré l’art et l’artiste, relativement aux années précédentes où l’on naviguait à vue. Elle a travaillé sur la mise en place des institutions qui restent après le départ de la personne. Elle a institutionnalisé des festivals, pas seulement en musique car nous devons apprendre aussi à vivre avec les autres arts ; elle a rendu la considération aux maîtres et elle assistait aux concerts de musique andalouse etc. vous me diriez que ce n’était qu’une procédure politique ? Mais bien sûr, on ne peut obliger quelqu’un à devenir passionné d’une musique mais on peut exiger de lui de la respecter et de la défendre : je crois qu’elle l’a fait.
Vous avez exporté cette belle musique au-delà de la méditerranée en collaboration avec l’université ; parlez-nous de cette expérience.
Avec le concours de l’université, je fais beaucoup de conférences avec illustrations devant d’autres communautés universitaires étrangères (européennes, canadiennes etc.) mais aussi des concerts dans certaines villes de France notamment. A chaque concert, le public dispose des textes chantés, de leur traduction et de notes explicatives.
Nous sommes en train de réaliser des expériences extraordinaires avec l’ensemble « ARCANGELO » de Lille, chez eux et à Tlemcen, où l’échange, le partage et l’interculturel sont au centre du projet. L’expérience sera encore une fois reconduite le mois d’avril 2015 à Tlemcen.
Quelle est votre plus belle rencontre musicale ?
Avec Redouane Bensari * en 1991 à Tanger où l’on a passé deux belles et grandes soirées consécutives ensemble.
Votre rêve musical le plus fou serait quoi ?
Monter sur scène avec tous les musiciens que j’ai connus, que j’ai côtoyés, toutes générations confondues, ainsi que tous les chanteurs et chanteuses qui voudraient partager avec moi ce concert où il y aurait plus de 50 musiciens et une quinzaine de solistes de toute l’Algérie : cela se déroulerait dans une salle de spectacle à Alger.
Un dernier mot adressé à la génération montante.
Il n’y a pas de dernier mot car il s’agit d’une histoire ouverte, qui continue. La musique est « l’art de combiner les sons de manière agréable à l’oreille », c’est ainsi que la définit le dictionnaire Larousse. La musique est un moment de plaisir et de partage, c’est ainsi que je l’ai toujours conçue. Cela dit, il est inutile de tomber dans les pièges inutiles des conflits d’écoles ou de survalorisation qui créent souvent des discordes entre les individus alors que la musique a une toute autre valeur, plus noble, celle d’apaiser les esprits, de rassembler les cultures et de partager des émotions ; ne dit-on pas que la musique adoucit les mœurs ?
Les jeunes de cette génération peuvent se produire sur scène et s’exprimer librement à condition de respecter cet art, les compositions qui ne leur appartiennent pas et le public qui vient les écouter. Leur mission est de charmer l’oreille de ce public qui a accepté de se déplacer pour eux, de le séduire et donc, il y a responsabilité quelque part, celle d’assurer pour dire MERCI à ces personnes qui sont venues vous voir.
On comprend à travers ces propos que la musique est une discipline mais aussi et surtout une forme d’éducation.
Je saisis aussi l’occasion qui m’est offerte pour souhaiter une longue vie au blog Andaloussiate et une bonne continuation à la charmante personne qui le gère. A tous les membres du blog, je vous transmets mes salutations les plus chaleureuses et les plus sincères.
Musicalement vôtre
* Lire le témoignage de Tewfik Benghabrit à propos de sa rencontre avec Cheikh Rédouane Bensari: Avec Cheikh Rédouane...
(Extrait d'un concert à Oran, mars 2011)
(Cerventes, août 2011)