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Andaloussiate

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Musique andalouse d'hier et d'aujourd'hui


Cheikh Sadek Bédjaoui par Dr. Hadj Mohammed TRIKI YAMANI *

Publié par Andaloussiate sur 8 Janvier 2019, 16:31pm

Catégories : #Maîtres & Biographies

Cheikh Sadek Bédjaoui par Dr. Hadj Mohammed TRIKI YAMANI *
Cheikh Sadek Bédjaoui par Dr. Hadj Mohammed TRIKI YAMANI *
Cheikh Sadek Bédjaoui par Dr. Hadj Mohammed TRIKI YAMANI *
Cheikh Sadek Bédjaoui par Dr. Hadj Mohammed TRIKI YAMANI *
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Cheikh Sadek Bédjaoui par Dr. Hadj Mohammed TRIKI YAMANI *
Cheikh Sadek Bédjaoui par Dr. Hadj Mohammed TRIKI YAMANI *

 

Cheikh Sadek Bejaoui. Itinéraire d’un maître de musique andalouse du XXe siècle

 

 

 

Les références sur Cheikh Sadek Bejaoui sont nombreuses.

Je me suis basé :

  - sur la thèse de Doctorat de Mme Zahia Bouchemal Dali, (Paris-Sorbonne),

   -sur la première biographie de Cheikh Sadek réalisée de son vivant par Sid Ahmed Triqui,

   -sur une biographie personnelle de Cheikh retrouvée toujours chez Sid Ahmed Triqui, et dactylographiée par Reda Bouyahia sous la dictée de son père,

    -sur des souvenirs de ses enfants, Reda, Jemil et Rochdy,

    -sur des souvenirs personnels.

J’ai également consulté des écrits de Salim El Hassar sur les maîtres juifs, (en particulier Ibeho Bensaid) et et je n’ai pas hésité de m'inspirer des publications du très sérieux site Nathan Yafil.

Signalons également un reportage sonore de radio Alger sur Cheikh Sadek, les années 2000, avec les témoignages de Nacereddine Baghdadi et de Fatah Imloul.

 

 

 

 

 

Introduction.

 

Si la Sanaa existe à Bejaia, c’est grâce au travail minutieux d’esthète entrepris par Cheikh Sadek Bejaoui, durant sa longue carrière poétique et musicale.

Il ramena la Sanaa à Béjaia tout en imposant un style original à son école. En introduisant cette approche musicale particulière, il donna à la ville de Béjaia ses lettres de noblesse. Il va sans dire qu’il s’était identifié à sa ville puisqu’il est connu surtout par son nom d’artiste "El Bejaoui"(Kamel Malti).

 

Véritable passeur, il participa à la formation de plusieurs générations de musiciens, ceux qui furent ses propres élèves, mais également ceux qui vinrent de toute part quémander des qassaid (Nassima Chabane, Nouri Koufi)... Certains maîtres avec lesquels il correspondait, n’hésitèrent pas de lui demander des textes d’andalou, de haouzi ou de chaabi (Mohamed Ghafour)... Cheikh était une véritable encyclopédie et sa maîtrise du chant, du rythme, ainsi que le résultat de ses nombreuses recherches le plaçaient comme une référence incontournable dans le domaine de la sanaa, du haouzi, du aroubi, du medh et de la chanson kabyle.

Il s’essaya avec bonheur en tant que poète-chanteur dans tous ces styles. Il se plaçait dans le moule des aèdes maghrébins définis par Abderahmane Ibn Khaldoun, dont les poèmes étaient destinés à être chantés.

 

Et pourtant il semble que la musique andalouse ait existé à Béjaia depuis les Hammadites (XI-XIIe siècle). Béjaia, port ouvert et cité prospère méditerranéenne et maghrébine, joua un rôle politique prépondérant. Elle fut fréquentée par les andalous déjà à l’époque de Naceria. D’après Bachir Hadj Ali, (Nouvelle Critique, 1960) la musique andalouse fut introduite pour la première fois au Maghreb sous El Mansour Ibn Nacer qui régna de 1088 à 1105), "l’inter-règne entre les Almoravides et les Almohades étant la période la plus riche dans la création musicale dans l’Espagne musulmane". Fawzi Saad-Allah ("pages inconnues de la musique andalouse") rapporte que la première école de musique au Maghreb date du XIIe siècle. Elle est l'œuvre de Abou Solaite, un andadou et cette école fût ouverte à Bejaia, Ennaciria à l'époque (source : Djamal Mahindad)

Du temps des Almohades, Béjaia représentait avec Seville et Tolède, l’un des plus grands centres intellectuels du monde musulman. La liste des poètes et savants ayant séjourné à Béjaia est longue. Citons en particulier le Soufi Boumediene Choaib (1127-1197) originaire de Cantillana (région de Séville), auteur entre autre du mcedder zidane "tsahia bikoum koulou ardin tsenzilouna biha". D’autres hommes de sciences et de lettres résidèrent dans la cité, comme le géographe El Idrissi (1099-1165), Ibn Arabi (1165-1240) théologien et poète, Ibn Battouta (1304-1377) explorateur, le mathématicien Leonardo Fibonacci de Pise (1175-1250) et plus tard l’historien Abderahmane Ibn Khaldoun (1332-1406), grand vizir représentant les Hafsides de Tunis à Béjaia.

 

À la chute de Grenade en 1492 les réfugiés andalous furent regroupés en périphérie de Béjaia, dans la vallée des Singes (Aiguades) ou à la Plaine exerçant la fonction de maraîchers. On comptait alors environ cinq-cent-mille réfugiés andalous au Maghreb.

 

Au XXe siecle, des citadins bougiotes tels El Hachemi et Allaoua Mahindad, le premier étant moqadem de la Kadiria et le deuxième moaqadem de la Taybya possédaient à eux deux les "knanes" du Mdeh et des textes soufis. (Témoignage de Djamel Mahindad). Parmi eux on retrouvait également Boualem Bouzouzou et Mahmoud Belhaddad qui pratiquaient la Sana, le melhoun et le haouzi, sans avoir une envergure significative dans ces dernières disciplines. La confrérie Taybya eut un grand rôle dans la formation initiale de Cheikh Sadek, qui fut jeune lecteur du saint Coran dans la Medersa de Sidi El Betrouni.

 

 

1 .Enfance/Adolescence

 

Cheikh Sadek, à l'age de 26 ans.

 

Sadek Bouyahia, dit Sadek Bejaoui est né le 17 décembre 1907 dans le quartier médiéval de Bab Ellouz à Béjaia. Dans une interview radiophonique, il révèle que son père Mohamed, né à Béjaia (1868-1925) devint capitaine d’une flottille de pêche (surnommé "Rais Hamma"). Son oncle Khellil avait émigré à Tunis et faisait le transport Tunis-Béjaia par bateau de produits artisanaux tunisiens (poterie de Djerba).

Leur nom de famille initial était Brahmi (at Braham de Koukou, de la région de Ain El Hammam.) À leur arrivée à Béjaia on leur donna le nom de Bouyahia  (des Ait Yahia).

La terre ancestrale de Cheikh Sadek acquit sa célébrité lors de la création du royaume de Koukou par Ahmed El Qadi, en 1510, après l’invasion espagnole de Bougie (9 janvier 1509). Sidi Ahmed El Kadi était juge dans la cour des derniers rois hafsides de Bougie et issu de la grande tribu des Ait Ghobri, dont le territoire occupait les montagnes du Djurjura du côté droit du Sebaou jusqu’à Azazga-Yakouren. L’invasion espagnole a fait fuire une bonne partie de la population bougiote, dont les ancêtres de Cheikh Sadek qui ont suivi l’exode de Ahmed El Kadi. Parmi les Ait Ghobri célèbres, il est utile de citer Abou Abbas El Ghobrini grand Cadi (qadi El qouda) du XIIIe siècle, auteur d’une biographie des grands savants de Béjaia.

On dit également que les Ait Ghobri auraient pour ascendance lointaine les Idrissides, ce qui les situerait dans le monde béni des Chorfas (descendants du prophète).

On sait que Ahmed El Kadi, soutenu par les Hafsides de Tunis, combattit les Turcs de Kheireddine et occupa Alger de 1520 à 1525. Il fut tué par les troupes du royaume des Beni Abbas, ses frères ennemis (les Mokrani descendants de Abderahmane, dernier émir hafside de Béjaia).

Cheikh Sadek, très attaché à ses origines et à son identité, ne manquait pas d’aller se ressourcer dans la région natale de ses aïeux, visitant le village et le mausolée ancestral, où est enterré le saint Sidi Ali Outaleb. Il nous parle aussi d’une Zaouia située au centre du village de Koukou, fréquentée par des étudiants venant de toute part, et même des régions arabophones pour apprendre l’arabe, "- ce qui est en contradiction, avec l’adage qui veut que les kabyles ne sont pas lettrés en arabe"-aimait-il dire !

 

Durant son enfance, Cheikh Sadek fréquenta l’école primaire française et parallèlement l’école coranique de Sidi Abou Sofiane.

Puis il entra à la Medersa de Sidi Betrouni à treize ans, où il eut comme maîtres Cheikh Larbi Chakmakchi, Cheikh Larbi Belabbas et El Hadi Zerrouki. Ces maîtres avaient étudié à l’université de Zitouna de Tunis et étaient des condisciples de Cheikh Abdelhamid Benbadis.

A l’époque, il était mal vu d’apprendre le français, langue profane de l’occupant, éloignant le musulman de sa religion et de son identité. La plupart des intellectuels algériens lettrés en arabe se tournaient vers des études approfondies à Djamaa Zitouna de Tunis.

Les lettrés musulmans furent non seulement des érudits en poésie arabe qui restait l’un des moyens le plus approprié pour transmettre le message éducatif et politique, mais étaient eux-mêmes souvent des poètes confirmés.

Les zaouiates (confréries religieuses) avaient un grand rôle dans l’apprentissage des chants et poèmes religieux et indirectement la poésie profane. À Béjaia, il y avait deux confréries religieuses importantes : la Qadria et la Taybyya. Cheikh Sadek fréquenta la confrérie Taybya de Sidi El Khider animée par Allaoua Mahindad, Boualem Bouzouzou dit Boualem El Qadi et Mahmoud  Benhadad qui l’initièrent à la poésie et au chant profane. El Hachemi Mahindad, qui fut également musicien profane, était le chef de la confrérie de la Qadria, compositeur et récitant de poèmes religieux. Boualem Bouzouzou et Mahmoud Benhadad étaient des virtuoses du luth et leur fréquentation fut bénéfique à bien des égards pour le jeune Sadek. Lors des rencontres de la confrérie, Cheikh Sadek se faisait remarquer par sa voix naturelle de ténor et par son désir d’apprendre les chants religieux et profanes. Les Chouyoukh de Béjaia l’initièrent donc au medh, aux inklabates, quelques morceaux de musique andalouse et aux qsayed d’El Alami (Meknes, 1741-1830), d’Amsaib (XVIIIe siècle), d’Ibn Triki (1650-1750)...Ses maîtres n’étaient pas en possession de noubas complètes. Le premier instrument du jeune Sadek était fait " en fils de crins montés sur une caisse en bois".

 Rapidement il constitua son propre orchestre. Très jeune, à partir de 20 ans le chanteur commença à se produire à l’occasion de fêtes familiales (circoncisions, mariages), avec sa première mandoline et commença à écrire ses premiers poèmes. Il se produisait également dans les fêtes religieuses où il affuta ses connaissances en medh. Il fit siennes son attirance poétique et ses aptitudes musicales, malgré le qu’en dira-t-on, et devant la réserve familiale. La musique était loin d’être considérée comme un métier d’avenir dans les milieux traditionnels.

 

 

2. Alger 1933-37

 

Cheikh Sadek à la kouitra, deuxième rang premier à gauche & Cheikh Mahieddine Lekhal au violon et au rbab Maalem m'Khilef Bouchara.

 

 

Le jeune Sadek partit en 1933 à Alger, pour parfaire et développer ses dons naturels de musicien. En parallèle il fallait vivre, et pour cela il travailla dur pendant deux ans comme coupeur dans une usine d’espadrilles. Il prit contact avec des maîtres qu’il connut lors de concerts à Béjaia: Maalem Derar de Blida et Maalem Saci Lebrati (juif Constantinois de naissance, résidant à Alger). Ce dernier le présenta au Maalem Seror qui lui-même le présenta au Mallem  Bouchaara. Ces deux maîtres l’aidèrent à adhérer à la Mossilia présidée à l’époque par Djabir Bensmaia assisté de Hmida Kateb. L’enseignement était prodigué par Cheikh Mahieddine Lekhal et Cheikh Bouchaara (accompagnateur de Mohammed Sfindja).

Au sommet de la pyramide de ces grands maîtres figurait le célèbre Mohamed Ben Ali Sfindja (1844-1908). Sfindja, cordonnier de son état, était l’élève du grand maître de la fin du XIXe siècle Maalem Abderahmane Menemeche (1820-1891) et de Maaalem Ben Farachou de confession juive mort en 1909, spécialiste du rebeb. Ces deux Maalem semblent être les seuls passeurs connus de la tradition musicale Sanaa algéroise, au moment de l’occupation française.

Rappelons que Sfindja, accompagné de Omar Racim et de Youcef Bensmaia, avait donné un concert religieux lors de l’inauguration de la grande mosquée de Béjaia en 1904 (Sidi Soufi).

Omar Racim né à Béjaia, selon Cheikh Sadek, était un spécialiste en enluminure (décor peint d’un livre), calligraphe, précurseur de la presse algérienne et militant nationaliste. Son frère, Mohamed Racim était un miniaturiste de renommée mondiale, malheureuse victime d’un crime crapuleux le 30 mars 1975.

Sfindja dont l’inestimable discographie reste une référence didactique de la Sanaa, fut le formateur des futurs Maalem qu’ils soient israélites ou musulmans tels, Saül Durand dit Mouzino, Edmond Yafil, Laho Seror, Makhlouf Bouchara, Ledjam, Mohammed Benteffahi, le Mufti Boukendoura...

Le maître avec ses disciples Yafil et Seror collaborèrent avec l’ethno-musicologue Jules Rouanet l’aidant ainsi à réaliser son œuvre sur la Musique du Maghreb. Enfin Yafil édita en 1904 un livre regroupant le recueil des œuvres Sanaa avec l’aide éclairée de Sfindja.

 

Cheikh Sadek eut pour maître Cheikh Mahieddine Lakhal (1885-11891) qui " l’adopta d’emblée et l’initia au secret des noubas"- "Avec lui, disait Cheikh Sadek, j’ai accédé peu à peu à la magie du verbe- «. Cheikh Sadek accompagnait son maître partout, en particulier à Blida où il animait le dimanche un cours à l’association El Widadia de Blida dont les élèves se nommaient Hadj Mahfoud, Larbi et Dahmane Benachour (coiffeurs),Hadj Medjber, Mohammed Benguergoura... Lors d’un de leur déplacement par voie de chemin de fer entre Alger- Blida, dont la durée ne dépassait guère une demi-heure, Cheikh Mahieddine Lakhal répéta un nouveau mcedder inconnu de son élève, qu’il devait enseigner aux musiciens blidéens. Arrivés au siège de l’association de la ville des roses, ce fut Cheikh Sadek qui, doué d’une aptitude mémorielle phénoménale, présenta le mcedder aux élèves !

Cheikh Sadek resta à El Mossilia jusqu’en 1937. Son instrument type à cette période était la kouitra .

Pendant ces cinq années algéroises, il se perfectionna en musique andalouse qui est, affirmait-il "le pilier de toutes les musiques". Il sera chanteur-ténor (le ténor Cheikh Sadek Bejaoui) en ayant une émission hebdomadaire à la radio, appelée à l’époque Radio PTT dont le premier speaker culturel musulman fut Salah Azrour à partir de l’année 1926. Ce dernier animait au début une page mensuelle.

La voix du Cheikh était puissante et naturelle et elle n’a jamais été travaillée ! Avec lui point besoin de micro...

 

 

3. Tlemcen

 

 

En 1934 Cheikh Sadek se rendit à Tlemcen pour un concert donné par El Mossilia chez un notable tlemcenien, Bendimered. À cette occasion, il fit la connaissance de maître Taleb Abdeslam président du Nadi Essaada et beau frère de Bachir Taleb ibrahimi (compagnon de Ben Badis et futur directeur de la Medersa "Dar El Hadith" de Tlemcen.)

Mais l’événement le plus important, véritable tournant dans sa carrière, fut la rencontre et le début de sa longue amitié avec Cheikh Larbi Bensari, maître incontestable de la musique tlemcenienne, se référant à la tradition de Grenade (Sanaa-gharnati). Cheikh Larbi avait déjà animé à Béjaia avec son fils Ahmed, dit Redouane, en 1930, le mariage de Hadj Hassan Moulla. Cette fête respecta la tradition des  "sept jours et sept nuits". Cheikh Larbi dont la date de naissance est diversement appréciée selon les auteurs (1863, 1867, 1872), affirmait qu’il avait trente ans lors du concert qu’il avait donné à la foire de Paris de 1900, (selon Sid Ahmed Triqui). Il est mort en 1964. Il eut pour maître Mohammed Benchaabane, dit Boudelfa, lui même élève de Maalem Ichou El Medioni dit Makchiche. Ce dernier,de confession juive eut pour sa part comme maître Hadj Hammadi Baghdadi, né...en 1797 !

C’est là que Cheikh Sadek se rendit compte "que Tlemcen était une terre à explorer" et sa collaboration avec Cheikh Larbi fut des plus fructueuses. Cheikh Larbi lui transmit les arcanes du haouzi, de la sanaa tlemcenienne et... son coup d’archet spécifique de l’alto. Cheikh Sadek remit de son côté au maître tlemcenien ainsi qu’à son fils Redouane des morceaux inconnus à Tlemcen de la sanaa algéroise. Cheikh Sadek joua souvent avec Cheikh Larbi Bensari.

  Un jour Cheikh Larbi voulut surprendre Cheikh Sadek en lui présentant une chanson inédite, ramenée de Syrie. Après que le maître tlemcenien eut chanté le premier couplet, Sadek l’arrêta et entonna lui-même la suite. Il s’agissait de "Hanina ya hanina hanina ya, ah ya qamar sellem aala ghiabina". Devant l’air surpris de Cheikh Larbi, le maître bougiote lui expliqua qu’il tenait ce morceau de Cheikh Mohammed Benamara dit "El Kourd", appelé également "le doigt d’or" du malouf (terme définissant sa virtuosité instrumentale, en particulier au piano) qui avait séjourné longtemps au moyen Orient.

Cette chanson fut exhumée lors d’un festival des années 70 à Tlemcen, interprétée pour l’occasion par la voix chaude de Abderahmane dit Hemanou Baouche (fils de Cheikh Rachid Baouche, dit Abdelouahab Abdjaoui). Depuis ce jour, elle fit le tour d’Algérie, reprise en particulier par Nouri Koufi...

Cheikh Sadek prit également contact avec Cheikh Driss Rahal (de Nedroma) avec lequel il eut une correspondance soutenue. C’est une preuve de l’éclectisme du Cheikh à la recherche incessante de toute information sur le patrimoine poétique et musical.

 

Cheikh Sadek eut des amitiés tlemceniennes durables, en particulier avec Abdelkrim Dali et son beau-père Cheikh Omar Bekhchi (1884-1958). Cheikh Omar, maître du Rbab et grand formateur, bénéficia d’une solide formation auprès des frères Mohamed et Ghaouti Dib, eux-mêmes dignes passeurs de Cheikh Meneouer Ben Attou, de Boudelfa (1853-1914) et de Makhlouf  Rouch dit "Btaina"(1858/1931).

Omar Bekhchi possédait  une épicerie en plein cœur de la ville commerçante, rue Khaldoun au Medress, qui était le lieu de rendez-vous des musiciens tlemceniens et des musiciens de passage qui venaient le solliciter, comme Cheikh Sadek, Cheikh Sid Ahmed Serri, Cheikh Mohammed El Kourd, Cheikh Abdelkrim Dali, Cheikh Mustapha Brixi, Cheikh Mhamed El Anka...

Cheikh Omar Beckhchi était un virtuose du rbeb au même titre que Mustapha Belkhodja qui fut son élève.

Sadek, très peiné par le décès de son ami Omar Bekhchi (1958) lui dédia un  poème intitulé "Dikrayat Cheikh Omar".

Cette période tlemcenienne ne s’arrêta pas pour autant, puisque Cheikh Sadek y revint souvent à l’occasion de fêtes familiales ou de concerts publics. Il va sans dire que ses amitiés s’appelaient également Mohammed Bouali, Mustapha Belkhodja, Mustapha Brixi…

 

 

4. Retour à Bejaia en 1937

 

Il se maria mais cela ne l’empêcha nullement de continuer son parcours artistique. C’est alors qu’il créa successivement plusieurs sociétés artistiques, d’abord Echabiba en 1938 puis Chabab El Fenni en 1940 et El Inchirah en 1944, malgré le contrôle sévère de ce genre d’associations considérées comme subversives par l’administration. En effet sous couvert de la musique, elles diffusaient "des idées politiques empreintes de liberté et l’on y apprenait des chants patriotiques". La dernière association fut dissoute en mai 1945 après les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata suite aux manifestations nationalistes, indépendantistes et anti-colonialistes des algériens.

 

Avant d’occuper le café le Baghdad le Cheikh prit la gérance d’un Nadi appelé "le Cercle de l’Union" dirigé à l’époque par le Dr Hadj Ali, l’un des premiers médecins bougiotes. Les  Nadis, associations ou cercles que l’on retrouvait un peu partout dans les cités algériennes, étaient tolérées, sans être pour autant très surveillées par l’administration française. Ces Nadis, où se côtoyaient des algériens toutes tendances politiques confondues (Oulémas, communistes, PPA puis MTLD, UDMA), étaient des véritables creusets du nationalisme. Le cercle de Bejaia et plus tard le café le Baghdad géré par Cheikh recevaient en leur sein outre des personnalités du milieu musical et artistique, des hommes politiques qui y venaient donner des conférences tels Ferhat Abbas, Dr Bendjeloul, Ben Badis, Bachir Brahimi, Abbas Turqui, Moubarek El Mili, Larbi Tebessi... Ces personnalités étaient reçues par Cheikh, sans oublier les musiciens de passage, comme Cheikh El Kourd, Dali, El Anka et des personnalités artistiques de toute part...

L’engagement et la conscience politique très élevée du Cheikh vont ressurgir dans ses poèmes de combat. (Ouahran ya zinat El bouldan,  Ana Dziri ). Durant la révolution sa production comme celles de la plupart des Chouyoukh fut mise en veilleuse. Selon le défunt Omar Dib, homme de lettres, Cheikh Larbi Bensari disait que pendant la guerre de libération il avait accroché son violon avec les oignons dans la remise : " aalaqts El Kamandja maa el  bsel fel aaoula ").

 Cheikh participa à la révolution en recueillant des moudjahidines qui avaient gite et couvert chez lui. Un grand nombre de combattants, dont certains sont encore en vie, trouvèrent refuge chez lui d’où beaucoup d’actions militaires furent organisées. Cheikh a toujours été très peu disert concernant son militantisme, respectons donc son vœu de discrétion, même si certains moudjahidines hébergés sont bien connus par la population bougiote. Il était également chargé par le FLN de faire un recensement des familles de détenus ou de martyrs de la région ou même de la fédération de France. Ces familles étaient prises en charge par les services sociaux du FLN (sources Reda Bouyahia).

 

Après la dissolution "du Cercle de l’Union" par les Français, Sadek géra le café le " Baghdad" situé en plein cœur de la ville, rue Fatima, près du marché "Philippe". Le Baghdad fut une véritable plaque tournante artistique et politique animée par le Cheikh pendant une vingtaine d’années.

Au premier étage du café se trouvait une petite salle réservée aux répétitions. Ses premiers élèves (d’après Jemil Bouyahia , fils du Cheikh) furent Rachid Baouche, Allaoua Zerrouki, Youcef Abjaoui (jeune coiffeur du quartier), Boualem Bouyahia dit Hammou (frère du Cheikh), Baba Ahmed Sid Ali (neveu du Cheikh et initiateur de l’école de musique de... Mascara), Mokrane Ouali dit Agaoua (adepte des Zaouia kabyles, devenu spécialiste du Mdeh en tamazight). A partir de 1946, on retrouve parmi les membres de l’orchestre de Radio Bougie Ladjouze Cherif dit Cherif Hamza, Saadaoui, Merabti Chabane, Rabah Menaa, Mouhoub Chenaa, Akir Boualem, Mohamed Major, Ahmed Terki (qui avait une échoppe face au Baghdad également artiste-peintre), Gana Amer dit Amier, Saidi Rabah dit Rabah l’Indochine seul survivant et en quelque sorte le "Dernier des Mohicans" de cette valeureuse période.

L’un des élèves les plus doués de Cheikh, Cheikh Rachid Baouche dit Abdelouahab Abdjaoui rejoignit la formation du maître grâce à sa voix remarquable. Rachid aidant son père confiseur et marchand de beignets, livrait tous les matins un plateau de beignets au café le Baghdad. Comme il était jeune et «gai comme un pinson", il chantait à tout-va. Un matin Cheikh Sadek, de son bureau au premier étage l’entendit chanter une qassida de son répertoire. Il le fit convoquer illico et lui intima de rejoindre l’orchestre le jour même. (Reda Bouyahia)

Le Baghdad, très animé lors des fêtes et des veillées de ramadan, était le premier café en possession d’une nouveauté : le phonographe. Le frère du Cheikh,"Khali Hammou", s’occupant de la programmation des disques, avait introduit la musique de jazz rameutant ainsi soldats anglais et américains présents à Bejaia lors du débarquement des forces alliés durant la deuxième guerre mondiale (sources Reda Bouyahia).

Ne serait-il pas souhaitable pour le devoir de mémoire d’apposer une plaque commémorative sur le mur du café le Baghdad, toujours fonctionnel ?

 

 

5. Production artistique

 

 

Cheikh Sadek commençait à être considéré comme un musicien incontournable et on sait qu’il fut sollicité pour des concerts sur Radio Alger durant sa période à El Mossilia, plus tard avec le grand orchestre d’Alger et enfin dans l’orchestre à la station de radio Bougie une fois par semaine où son style, qui s’adressait à la population bougiote et des environs s’était diversifié (Sanaa, Haouzi, kabyle, aroubi, melhoun) et avait conquis de facto les auditeurs de tout le territoire national, à l’instar de ma grand-mère grande " fan" tlemcenienne de Cheikh, déjà les années quarante.

 

En 1939 il participa à un congrès et au festival de musique andalouse de Fez avec l’orchestre d’Alger en compagnie de Cheikh Ahmed Sebti dit Ahmed Chitane, ainsi que des  frères Fekhardji : Mohamed (1896-1956)et Abderrezak (1911-1984) de la société El Dajazaria qui fusionna avec Mossilia en 1951 (la société El Djaziria datait de 1928 et était située à l’ex-place du Gouvernement au cercle Etaraki ; la société  El Mossilia  inaugurée en 1932 avait son siège  à la Casbah, rue Médée). Cheikh Sadek connut à cette occasion le doyen des maîtres de musique marocaine Cheikh Mohammed Benabdeslam El Brihi ( fin XIXe siecle- années 1940), maître de Cheikh Abdelkrim Rais (1912- 1996), de Cheikh Moulay Ahmed Loukili ( 1909-1888) qui devint chef d’orchestre de la radio marocaine...

 

Avec son orchestre Chabab El Fenni, il se produisit au festival de musique de Tunis en 1947, où il reçut une haute distinction du Bey de Tunis remise par le premier ministre le Dr El Kaak.(Nicham Iftikhar)

 

En 1950, participant avec ses élèves à un festival de musique universelle au théâtre de Bejaia, Cheikh Sadek avait choisi une Nouba Zidane. L’orchestre symphonique de Rouen devait passer en deuxième partie pour interpréter une œuvre de Camille Saint-Saens.

Les musiciens de cet orchestre crièrent au plagiat quand Cheikh interpréta la touichia Zidane. Ce dernier leur expliqua que Saint-Saens, lors de son séjour à Alger au début du siècle, avait fréquenté les musiciens algériens de l’époque comme, Mohamed Sfindja, Chaoul Durand dit Mouzino. Saint Saens n’avait fait que reprendre dans l’une de ses œuvres (bacchanale de Samson et Dalila) la quatrième partie de la  touichia Zidane.

Cheikh Sadek leur dit qu’il tenait à leur disposition une deuxième Touichia Zidane... celle de Tlemcen !

Cheikh Sadek fut décoré de la médaille d’Or par la ville de Bougie qui reconnaissait ainsi son mérite et implicitement sa musique et son art...

 

Amitiés et collaboration avec les maîtres juifs.

 

Les maîtres de confession juive, très nombreux au XIX-XXe siècle, étaient également héritiers de la musique andalouse (beaucoup ayant des ancêtres andalous, chassés après la Reconquista en 1492). Les juifs considéraient cette musique comme un prolongement du chant religieux, "la hazanout"pratiquée dans les synagogues et qui donnait une tonalité spécifique juive. Le poème chanté lithurgique s’appelle le "pyout".

Cela ne va pas sans nous rappeler les chants religieux des Semmaïnes musulmans et le medh  avec ses knanes (poèmes religieux) qui utilisent le mode andalou...

Les maîtres juifs algériens avaient pour nom Edmond Yafil, fondateur de la société El Moutribia, Elie Bensaid, Maalem Bouchara, Sassi Lebrati, Saoud Medioni, Joseph Guenoun dit Zouzou, Laho Seror, Malma Titine, Raymond Leyris, Elie Moual dit Lili Labassi. Au Maroc on retrouve Samy Moghribi (qui devint rabbin à Montréal) , Zohra Fassia et tant d’autres...

 

Cheikh Sadek était très demandé dans les fêtes juives où il se produisait avec son ami  le grand maître Elie Bensaid dit Ibeho qui eut une grande influence sur l’art pratiqué par cheikh Sadek et le Maalem Bouchara (maître du rbeb). Etant le seul musulman à se produire dans ces fêtes juives à Alger, Oran, Oujda, il était jalousé en particulier par Saci Lebrati et Lilli Labassi.

Maalem Elie Bensaïd, dit  Ibeho (1889-1972) était le  disciple de Makhlouf Rouch dit Btaina (1858-1931, originaire de Tlemcen) lui-même élève de Ichou El Medioni dit Makchiche (1818-1899). Rappelons que Makchiche était aussi le maître de Mohammed Ben Chaabane dit Boudelfa qui a formé Cheikh Larbi Bensari.

Ibeho Bensaid et Cheikh Sadek se sont connus au cours de rencontres à Tlemcen et à la Moutribia d’Alger. Maalem Elie Bensaïd enregistra plusieurs chansons en 1929, dont “Tlemcen ya h’mam‘’ du poète Ahmed Bentriqui et ‘’Maïli sadr h’nin’’ du poète Mohamed Ben Amer (XVIe siècle). Nous noterons également que les maîtres Ibého Bensaïd et Cheikh Rédouane Bensari eurent une influence sur le grand chanteur juif du ‘’Beldi-Hawzi’’, Samy al-Maghribi (1922-2008).

Cheikh Sadek ne manquait jamais de passer à Oran chez Saoud El Medioni  dit ‘’El-Wahrani’’(1886-1943) petit fils de  Makchiche,  qui avait un café, rue de la Revolution dans le quartier juif. La fréquentation de Saoud lui permit de connaître les autres musiciens juifs de cette ville : Joseph Guennoun dit ‘’Zouzou’’, mort en 1972 à 110 ans,  Mritekh, Dauden… Émigré à Marseille, Saoud fut arrêté lors d’une rafle puis  déporté et tué par les Allemands. Il fut le maître de Sultana Daoud (Reinette) et le jeune Lili Boniche (10ans).

Cheikh Zouzou ne manquait pas d’aller à la rencontre de Cheikh Sadek chez Saoud. Non-voyant, il se faisait accompagner par son fils. Comme les discussions des Chouyoukh se prolongeaient tard dans la soirée, le fils pressait son père de rentrer. Le père lui répondit un jour : - "sois patient mon fils ce n’est pas tous les jours que j’ai l’occasion d’être en présence d’un monarque", désignant Cheikh Sadek ! (Site Yafil)

 

Grâce à son talent Cheikh Sadek put enregistrer un disque en 1938 Hanina ya Hanina, lach tsamel hila (pourquoi pratiquer la ruse), Sidi Mohamed Amokrane. Mais par la suite, on ne lui connut pas de production discographique continue.

 

Après la deuxième guerre mondiale, le directeur des programmes de la RTA Boudali Safir, créa les orchestres nationaux de la Radio. Hésitant quant à la désignation des chefs d’orchestre, il demanda l’avis éclairé de Cheikh Sadek qui recommanda les frères Fekhardji pour la Sanaa (alors que Mahieddine Lekhal était pressenti initialement) et El Anka pour le Chaabi ( au lieu de Hadj Mrizek). C’est ce choix qui fut adopté.

Boudali Safir (1908-1999) fut professeur d’École primaire supérieure à Mascara (1929), puis à Orléansville (Chlef, 1940) ; membre de la SFIO depuis 1934, il fut collaborateur d’Oran Républicain. Il fut producteur à Radio-Alger en 1943, directeur artistique de la chaîne arabe et créateur de la chaîne en kabyle. Après l’indépendance il fut nommé directeur à Alger de l’Institut National de Musique, des Arts et des Danses.

 

Pendant la guerre d’Algérie, Cheikh fut prié par le sénateur-maire Jacques Augarde, et çe malgré l’opposition du conseil d’administration du théâtre, de créer une section de musique andalouse au conservatoire. Cheikh Sadek intransigeant durant la période de la guerre de libération, refusa cette proposition. Durant la guerre, l’une des formes de sa résistance et son engagement était de s’abstenir de chanter. C’était la période des "chants patriotiques", disait-il.

 

 

6. Après l’Indépendance

 

 

 En mars 1963, le chef de la Délégation Spéciale Communale Mr Youcef Kebbache, le chargea de la chaire de musique andalouse au conservatoire de Bejaia.

Cheikh fut un maître rigoureux, établissant une discipline de fer à laquelle seuls les élèves intéressés pouvaient résister. Il créa une véritable école dont le sérieux et l’impact ne sont plus à démontrer. En ville tout le monde le respectait et se rendait compte des résultats de son travail. C’était le Cheikh dans sa véritable définition, mais tout le monde l’appelait affectueusement "Khali Sadek".  Ses cours étaient délivrés à titre gracieux.

Au cours d’un concert privé à Tlemcen, le drabki se trompant de rythme, Cheikh arrêta scéance tenante sa prestation et demanda à son élève de lui présenter sa derbouka qu’il transperça d’un coup d’archet... une facette bien connue de sa rigueur !

Ainsi la période post-indépendance fut féconde en ce qui concerne la formation et la participation du maître avec ses élèves à beaucoup de manifestations, festivals nationaux et internationaux.

La liste de ses élèves est longue, citons les plus connus comme El Ghazi, Djamal Allam, Mohamed Rais, Djamal Ould Ali, Rachid Bencheikh, Boubekeur Khamsi, les frères Baouche, Mhamed Redouane qui s’occupa de la formation pendant une dizaine d’année, Kamel Stambouli, Mhamed Chebaim, Abdelouahab Ouffai , Rochdy et Jemil Bouyahia... Cheikh Sadek était favorable au renouvellement de son orchestre donnant ainsi la possibilité  aux jeunes de s’épanouir.

 

Les participations:

 

Son orchestre participa au premier festival national (médaille de Bronze 1967). Il eut un premier prix de Haouzi à Tlemcen et se produisit au festival du Testour (Tunisie)1972 et 1982.

Plusieurs participations à Constantine où Tlemcen, furent à l’actif de l’orchestre. À Tlemcen Cheikh allait chaque année au festival de la fête des cerises. Ses élèves, logés au Lycee Benzerdjeb racontent leur bonheur de vivre de chaleureuses rencontres avec les élèves de différentes écoles et d’horizons divers. Cheikh Sadek qui tenait à loger avec ses élèves (alors que certaines formations et les accompagnateurs adultes préféraient le confort du très chic Hôtel du Moghreb) était très sollicité par tous les jeunes et moins jeunes musiciens. Il se comportait en véritable père de famille et n’était pas avare de conseils techniques, prodigués aux participants qui le sollicitaient

 

Il faisait souvent des sorties champêtres aux Aiguades et ses élèves joignaient l’utile à l’agréable, dans ce cadre magnifique. Son point de chute était le café-restaurant de Zaouche dit "Tarzan", qui mettait à la disposition de Cheikh une salle servant à la fois de lieu de répétition et de dortoir...

 

Il participa à plusieurs colloques dont les principaux se déroulèrent à El Riath (1964) sur la musique traditionnelle andalouse et à Tlemcen en 1980 sur les poètes de Haouzi.

A l’instar d’autres maîtres, il fut sollicité par feu Djelloul Yelles (directeur de l’Institut National de Musique), instigateur de la recherche et de la publication des trois volumes "El Mouachahates oua Zadjal" avec la collaboration de Mokrane Hafnaoui.

En 1967-68, il fut invité par l’amicale des Algériens en Europe où il se produisit à la maison de la culture à Puteaux et à Paris au Théâtre des Champs Elysées.

En 1972 il se reproduisit à Paris. Contacté par ses amis juifs pour donner des concerts privés parisiens, il déclina fermement ces offres par solidarité avec la cause palestinienne.

 La radio et la TV passèrent de nombreuses émissions de Cheikh, avec l’orchestre national.

En 1983 le 26 mai, un hommage lui fut rendu à la salle Atlas de Bab El Oued par la société "El Fakhardjia", dans une salle comble et chaleureuse.

 

Il mît fin à sa carrière en 1986, bénéficiant d’une retraite dont le montant était si ridicule qu’il serait déplacé d’en aligner les chiffres.

 

 

7. Thèmes utilisés/Corpus du Cheikh

 

Cheikh était opposé à la transcription de la musique pour lui nécessairement vouée à l’échec (auparavant Yafil à Alger et Mustapha Aboura (1875-1935) à Tlemcen s’étaient essayés à la notation de cette musique). "La transcription, affirme-t-il fait perdre tout le charme et l’âme de la Sanaa". Certes la transmission orale déformait parfois les textes et les mélodies, mais pour lui, elle était nécessaire et facilitée par les moyens modernes d’enregistrement (Mme Dali-Bouchemal).

 

Certaines personnes considéraient la musique classique comme "une musique de salon" réservée aux riches. Cela faisait d’autant plus sourire Cheikh Sadek qui avait touché à ses débuts au dur métier de coupeur d’espadrilles et de gérant de café par la suite.  Les grands maîtres, issus du petit peuple, avaient des petits métiers : coiffeurs (Cheikh Larbi, Dahmane Benachour,) cordonniers (Sfindja) tisserands (Mahieddine Lakhal, Mustapha Brixi) halouadji (confiseur) comme Abdelkrim Dali,ou possédaient  une échoppe (Cheikh Omar Bekhchi) et leur grande richesse était plutôt... intellectuelle !

L’un des rares musiciens fortunés qui n’eut pas besoin de métier parallèle pour s’adonner pleinement à sa passion de la musique fut Mohammed Benteffahi (1870-1944), fondateur de la société El Djazairia et maître des frères Mohammed et Abderrezak Fekhardji. Sa fille étant marié à Tlemcen,il eut des relations soutenues avec Cheikh Larbi et son fils Redouane. Il mourut d’ailleurs à Tlemcen, au cours d’un séjour chez sa fille.

 

On sait que Cheikh fut également un poète chanteur. Déjà Ibn Khaldoun (XIV-XVe siècle) parlait d’un "aard El bouloud "(métrique populaire) et que les poèmes étaient écrits pour être chantés.

Cheikh Sadek a composé dans plusieurs styles Haouzi, Aroubi, Mdeh et kabyle.

Il ne faut pas oublier que Cheikh Sadek a été l’un des plus grands interprètes de hawzi de son époque, à l’instar de Redouane Bensari, de Abdelkrim Dali, Dahmane Benachour... Sa connaissance parfaite des poètes Tlemceniens tels Mendassi, Bentriki, Bouletbag, Amsaib, Bensahla... l’a aidé à produire avec bonheur des œuvres diverses, en arabe populaire bougiote. Cette langue de l’ancienne capitale hammadite est marquée par l’apport d’une histoire complexe et d’événements parfois tragiques selon les différentes occupations. On y retrouve des termes kabyles, turcs, espagnols ce qui donne une richesse originale et spécifique à cette langue, utilisée encore par une certaine catégorie de la population, mais de plus en plus détrônée par le kabyle majoritairement employé.

 

Son Corpus.

 

 

I. Poésie en arabe

 

Citons quelques titres de son corpus, emprunté à Madame Zahia Bouchemal Dali. Ces poèmes sont pratiquement tous interprétés par nos élèves de l’association Ahbab Cheikh Sadek Bedjaoui.

 

Dans le style amoureux :

y’a qad El Mesrar, Ya khtsi, Lach tsaamel hila, Ma li m’en 3achq El djar(éprouvé par la passion de la voisine), Ya oulif  sabagh echfar (o ma compagne aux cils noirs), Ma Hla del Achia.

Mahla del achia, devenue célèbre grâce à l’interprétation d’El Ghazi, a été composée d’une manière anecdotique racontée par Cheikh Rachid Baouche (à l’occasion d’une interview radiophonique produite par Fatah Imloul sur Radio Soumam). Rachid avec ses amis, après avoir vu au cinéma un film américain se mit à fredonner sans arrêt la musique lancinante du film. Le soir en voyant Cheikh Sadek, il lui entonna cette chanson qui revenait sans cesse dans son esprit. Le Cheikh composa aussitôt  mahl del Achia en s’inspirant de cette musique.

 

Hommage funèbre:

Dikrayat Omar Bekhchi.

 

Poésie religieuse:

Ya Sahbi, Mdeh Sidi Mohammed Amokrane, Mdeh Sidi Soufi

 

Poésie de combat:

Ouahrane ya Zinat El Bouldane

Ana Dziri

 

Poésie de Morale:

Ya qalbi, ya li tsheb tamlak radjalha (celle qui veut garder son mari)

 

Poésie descriptive:

El ouerd

 

II. Poésie en Kabyle (source Sonia Bouyahia, notre jeune chef d'orchestre et petite fille de Cheikh Sadek)

Quelques titres choisis interprétés par nos élèves :

 

     1. El houb El houb.

 

     2. Ad noughal tamourt (nous reviendrons au pays).

 

     3. Inyide esfahlyide (dis-moi,explique moi) thème de l’exil. Un homme explique à sa femme que son exil est inéluctable et aboutira au retour et à une vie meilleure.

 

     4. A Belyazit, a Baba mghar (célèbre duo interprété par Cheikh Sadek et Rachid Baouche, et actuellement par Yasmine Bouyahia, petite fille du Cheikh, et Nariman Meddas.)

Le thème évoque une discussion animée entre une vieille personne et un jeune homme, chacun argumentant que son époque était la meilleure à vivre.

Cette chanson fut censurée par les services spéciaux de l’armée française, sous prétexte que le coq (abelyazit représentait la France et que le chacal (M’hand ouchene) l’Algérie combattante...

 

      5.Eslam Fellaouene (Salam Alikoum)  : thème de la nature au printemps.

 

      6.Agoudjil. (l’horphelin). message pour venir en aide aux orphelins.

 

III. Dans le style religieux, Cheikh  composa des noubas dans le style Raml El Maya et Sika.

 

  IV. Pièces théâtrales satiriques et radiophoniques.

 

La plus célèbre est intitulée "El Kemmar" (l’orphelin)

 

 

8. En conclusion

 

Il faut retenir en premier lieu que la richesse de la carrière de Cheikh Sadek fut en rapport avec l’histoire mouvementée du vingtième siècle qu’il vécut pratiquement dans sa totalité, avec les grands faits marquants que furent :

 —la première guerre mondiale,

 —l’éveil politique des Algériens avec la création et l’évolution des mouvements nationalistes et indépendantistes, avec un rôle primordial des cercles ou Nadis.

 —la deuxième guerre mondiale,

 —le 8 mai 1945 avec les massacres de Setif, de Kherrata et  de Guelma.

 — la guerre de libération.

 —et enfin l’indépendance.

 

En deuxième lieu, Cheikh Sadek tel un artisan modèle fit le parcours de toute les écoles de musique algérienne en utilisant sa curiosité et ses aptitudes artistiques exceptionnelles pour créer un style particulier :  la Sanaa bougiote. Il confia à Sid Ahmed Triqui, qu’il connaissait et était en possession de près de deux mille chghouls.

 

Il faut ajouter aussi qu’à l’instar des grands poètes/musiciens de Haouzi, de Aroubi ou de Melhoun, il est l’auteur de plus de deux cents œuvres dans ces styles écrits en arabe bougiote populaire mais également en kabyle, langue majoritairement utilisée actuellement à Bejaia. Toutes ses compositions ont pour racine la Nouba andalouse, dont il utilisa les rythmes et les modes.

 

Cheikh Sadek ne s’est pas contenté de chanter, il a toujours été un formateur et un passeur avisé. Ses élèves peuvent être fiers d’avoir côtoyé ce maître à la personnalité marquante, qualifié de "chardonneret des cimes".

Cheikh Sadek est devenu une icône de la ville de Bejaia. Le respect qu’on pouvait lui vouer dépassait Bir Slam, (lieu où les pèlerins faisaient leurs ablutions avant de pénétrer dans la Bejaia à l’époque où elle était considérée comme la petite Mecque) sa renommée atteignant toutes les cités algériennes, dépassant les frontières est ou ouest, et traversant même la Méditerranée.

Pourtant ce personnage scintillant, se voulait simple, souriant, accueillant, trouvant toujours le bon mot pour vous recevoir, lui qui connut tant de personnalités dans le monde de l’art et de la politique.

Une de ses caractéristiques était sa fierté d’appartenir à sa ville au passé historique prestigieux. Dans ses poèmes on retrouve des noms de poètes, de saints ou de savants des époques hammadite ou des Mourabitoune ou Mouahidoune.

Il me parlait souvent de son livre de chevet les "Rihla" d’Ibn Battouta, ce grand voyageur du 14eme siècle qui lors de plusieurs pèlerinages à la Mecque partit à la découverte de plusieurs pays (Chine, Inde, Ceylan, Mali, etc...). Il était émerveillé à la lecture des récits de ce berbère né à Tanger et décédé à Marrakech.

Ce qui me laisse à penser que Cheikh Sadek fut l’Ibn Battouta de la musique andalouse maghrébine qui, au final, n’avait aucun secret pour lui.

 

Peu avant sa mort le 7 janvier 1995, Cheikh Sadek El Béjaoui remit aux représentants de l’Onda un répertoire de qassidate classées patrimoine public.

Il estimait que “l’art se donne, il ne se vend pas”.

Il ne voulait pas que sa musique "soit vendue comme des boites de sardines» (allusion aux cassettes ou disques).

Il a toujours prêché que "pour apprendre la musique, il y avait assez d’associations et il a toujours été un adepte de la tradition orale".

 

Je voudrais au final illustrer ce texte par quelques mots forts de Cheikh, empruntés à un article du site Yafil.

 

"Il y a chanteur et chanteur...et ce n’est pas chantant comme une mouche et qu’on vous place un micro devant la bouche qu’on devient un éléphant"

 

"Ces derniers temps, j’entends de plus en plus de musique, dans les festivals, etc... Je constate et sens qu’il y a beaucoup de choses qui manquent, mais les gens ne se rendent pas compte de cela même si on leur fait des remarques. Alors je leur dis : tenez mon oreille pour écouter avec !"

 

 

* Hadj Mohammed TRIKI YAMANI, vice président de l'association Ahbab Sadek Bédjaoui de Béjaïa.

 

 

Document sonore exceptionnel de Cheikh Sadek Bédjaoui, extrait de son concert du 09/01/1955 au cercle franco-musulman à Alger. (Orchestre sous la direction de Cheikh Mohamed Fakhardji.) Stikhbar dans le mode Aâraq suivi d'un extrait du superbe Btaïhi H'sine "Ya Morsili"

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